Episode 2 : Un langage codé

20 janvier 2023 , par Théo Cointrel

Me voilà à Épinay-sur-Seine, le VTC a mis près d’une heure pour me déposer ici. Une jeune femme au teint méditerranéen m’ouvre la porte. Un fort accent italien se fait entendre lorsqu’elle me salue et me fait entrer. Je me retrouve nez-à-nez avec une autre femme brune au teint hâlé, tout de noir vêtue, qui me lance :

« Vous êtes M. Cartier ? Je suis Cristina GB, responsable d’opération, spécialiste du Premier Moyen Âge. L’échange au téléphone, c’était avec moi.. Asseyez-vous, je vous en prie. Mon collègue Pascal nous rejoint.

- Sympa l’endroit, j’ai lu que c’est un ancien poste de désinfection industrielle, lui dis-je afin de montrer ma science.

- Tout à fait, ce bâtiment appartenait déjà au département, et on l’a réhabilité pour répondre à nos besoins logistiques qui sont très spécifiques.

- Nous avons notamment des réserves archéologiques sèches et humides pour les mobiliers? nécessitant une conservation en atmosphère contrôlée, me dit un homme en entrant dans le bureau. Il a des cheveux gris et un pull en laine dont la couleur rappelle la pigmentation poivre et sel de sa tignasse.

- Monsieur ?

- Pascal M., chargé des collections et céramologue, c’est-à-dire spécialiste de la céramique?. Je suis le premier à avoir prévenu le SRA? et Ivan L, notre collègue qui dirige actuellement le chantier de fouille à la Basilique de Saint-Denis, du vol d’un lot d’objets d’une valeur importante.

- SRA ? J’avais oublié que dans le langage des collectivités aussi, les acronymes pullulaient. Quel est donc celui-ci ?

- Service régional de l’archéologie, me précise Cristina. Au sein de chaque DRAC, Direction des affaires culturelles, il y a un comité qui veille à l’application des lois et des règles applicables à l’archéologie préventive? ; il veille également au contrôle scientifique de notre travail. C’est à ce service que nous devons rendre des comptes, en quelque sorte. »

Après cette séance introductive, je décide de lancer mes questions et d’en savoir un peu plus sur ces deux archéologues au ton très péremptoire. J’ai d’abord besoin, pour me concentrer, que Pascal, toujours debout depuis plusieurs minutes, s’assoit enfin. Il m’est impossible d’interroger un homme debout, toutefois cela stimule le retour veineux ; il sait peut être ce qu’il fait.

« Asseyez-vous Pascal, lui dis-je. D’où provenaient ces objets volés ? De la salle d’exposition ? Des réserves ?

- Ils étaient en cours de conditionnement, dans le patio?, prêts à être enregistrés dans la base de données. Ils étaient protégés, rangés et sous scellés.

- Sous scellés ? Est-ce un abus de langage, ou avez-vous des procédures similaires aux nôtres ?

- Depuis 1991, nous conservons dans nos réserves plus de 5 300 caisses de mobiliers archéologiques dans lesquelles tout est ainsi « sous scellé », c’est-à-dire dans des sachets plastiques soigneusement fermés, pour éviter que les objets ne se perdent ou ne se mélangent. J’ai employé cette expression pour que cela fasse davantage sens pour vous.

-Très bien, je comprends. J’aimerais que vous me dressiez un portrait de l’équipe actuelle.

- Cela risque de vous prendre un peu de temps. En ce moment nous accueillons une douzaine d’archéologues contractuels qui s’ajoutent à la dizaine d’archéologues titulaires.

- Cela tombe bien ! j’ai tout mon temps et je suis tout ouïe. Auriez-vous un tableau, en liège de préférence, pour que nous puissions ordonner les profils ? »

Je me tourne alors vers Cristina ; j’avais deviné qu’elle était femme à aimer contrôler : autant m’attirer ses bonnes grâces.

« Je vais le dresser sous votre contrôle, lui dis-je d’un ton farceur.

- Commençons par le commencement. La douzaine d’archéologues contractuels travaille actuellement sur la post-fouille du chantier de la Motte à Bobigny. C’est une phase d’études qui dure, en règle générale, deux à trois fois plus longtemps que la fouille même. Toutes les données de chantier et les mobiliers mis au jour font l’objet d’un traitement méthodique : le lavage, le conditionnement, l’enregistrement dans la base de données informatique et les analyses. La présentation et l’interprétation de toutes ces informations permettent la constitution d’un rapport écrit remis au SRA, enfin un travail de valorisation est réalisé. Les trois premières étapes sont en cours, pérore Cristina. »

Un long silence règne. Je prends conscience que cette enquête risque d’être plus compliquée que prévu car le monde de l’archéologie est très loin du mien.

« Très bien, repris-je, auriez-vous le trombinoscope des deux équipes au complet ? »

NB : Ceci est une œuvre de fiction.