Episode 4 : Cosa vuoi sapere ?

3 février 2023 , par Théo Cointrel

Ma petite expérience, en tant qu’agent de la judiciaire, m’a prouvé qu’il ne fallait jamais avoir des a priori sur les gens, mais force est de constater que cet homme au bonnet gris ne me semble, lui non plus, pas commode pour un rond. ’L’abito non fa il monaco’, ma grand-mère me répétait cela à longueur de journée durant mes vacances passées dans la région de Catane.

Pendant que je regarde ce deuxième trombinoscope, tout aussi étrange que le premier, Patrick me tend un mug original sur lequel sont sérigraphiés des dessins pariétaux.

« - Sympa ce mug, vous en avez d’autres comme ça ? Je pensais qu’il allait me ramener un café dans une céramique? néolithique.

- Vous servir un café dans un coquemar du bas Moyen Âge, n’aurait pas été une si mauvaise idée, mais l’abus de caféine est dangereux? pour la santé. J’ai entendu dire l’autre jour que des voitures pouvaient rouler grâce à l’emploie de grains de café. Et cela n’est pas une plaisanterie.

- Oui et Tom Cruise compte jouer des scènes dans l’espace pour son prochain film.
Patrick, tant que j’y pense, je vous remercie pour l’accueil et le bureau que vous m’avez gentiment prêté.

- Oh vous savez, je ne fais qu’accomplir mon travail. Bientôt je serai décoré. J’ai appris avant- hier que la récompense était un excellent moyen, pour le chien, d’assimiler une action à quelque chose de positif. Pour l’être humain, la récompense est plutôt associée au plaisir. Croyez-moi, du plaisir j’en prendrai lors de la remise des médailles. Je tiens à préciser que je ne suis pas un canidé car je ne tourne pas en rond comme le circuit de la récompense.

- Ah bon ? Et où avez-vous appris tout cela ? Répliquais-je.

- Jean, l’archéozoologue contractuel, a animé un colloque très intéressant sur l’histoire naturelle et culturelle des animaux, sur les relations qu’ils entretiennent avec l’homme et entre eux : mutualisme, commensalisme et biocénose. Mais également sur les étapes d’identification anatomique.

- Je pensais que vous étiez quelqu’un de plutôt dissipé, mais finalement vous avez retenu l’essentiel. Tout le monde a participé à ce cours ?

Mon humour semble le faire rire. Patrick est un personnage sympathique, je pense qu’il me sera grandement utile pour obtenir les informations que je recherche.

- Merci de le constater, me dit-il d’un air amusé. Tout le monde sauf celles et ceux qui travaillent sur le chantier de la basilique.

Après cette rapide entrevue avec Patrick, je reçois Jean. Je profite de l’occasion pour en savoir davantage sur lui.
Cette histoire de chien et d’archézoologie m’interpelle, car le lien est frontal avec l’animal que j’ai découvert dans le calepin de Pascal. Jean est plus que jamais suspect dans cette affaire.
Malgré cela, Il semble être quelqu’un de bienveillant, un genre de gendre idéal qui contrefait la sagesse à lui donner le bon dieu sans confession. « C’est du Zola, mon capitaine , c’est du Zola », m’aurait rétorqué mon ami et collègue Tristan Luthberg pour me rappeler à quel point mes envolées lyriques sont triviales et qu’il est cultivé.

- Jean, asseyez-vous. J’ai entendu parler du cours que vous avez tenu avant-hier dans l’auditorium. Pouvez-vous m’introduire à l’archéozoologie ?

- C’est une discipline scientifique qui étudie les relations entre l’ homme et l’animal et non l’évolution des espèces animales comme le suggère la paléontologie.
Ces relations, nous les approfondissons, grâce à la détermination osseuse qui consiste à identifier des fragments d’os.

- Et quel est le rapport avec l’être humain ? Je n’arrive pas à saisir son implication dans l’inhumation d’une bête. Je veux dire par là qu’un animal peut mourir de manière naturelle sans qu’aucune action anthropique y soit associée.

- Tout à fait mais 95 % des éléments que nous étudions, sur un chantier de fouilles archéologiques, proviennent des rejets humains. En d’autres termes, j’ai plus de chances de trouver un os sur lequel apparaissent des traces de coupures ou d’entailles qu’un os ne présentant aucune marque d’activités anthropiques.

- Et comment faites-vous pour identifier un animal avec toutes ces perturbations humaines ? Je vous prie de m’excuser pour l’usage, quelque peu maladroit, de ces termes.

- Le dimorphisme sexuel ! Me rétorque-t-il comme si cela était évident.
Lorsque les fragments sont difficilement lisibles, on se concentre sur les différences morphologiques. Prenons l’exemple du chien. Le mâle possède un os pénien autrement appelé baculum. C’est un os qu’on retrouve assez fréquemment chez les mammifères.

Il me parle du chien sans que je lui en fasse expressément mention, se serait-il grillé ? Laissons le poursuivre, voir jusqu’où il peut aller.

- Pour un bœuf, nous vérifions la cheville osseuse des cornes. Chez la femelle, elle est plus plate. Rien n’est absolu, ces indicateurs marquent juste des tendances. J’ai d’autres exemples en tête qui témoignent de cela, ce qu’on appelle communément des marqueurs constants. Lorsqu’une épidémie animale appelée épizootie se déclenche, les animaux sont inhumés dans un seul et même périmètre. Cet élément est important car il facilite le travail d’analyse.
Dans un cas contraire, lorsqu’un animal issu de l’élevage est tué pour être consommé, les os peuvent être éparpillés.

Mon impéritie me fait encore défaut. Il semble évident que le chien n’est pas le seul animal représenté sur un chantier archéologique au contexte protohistorique.

- J’imagine que le circuit opératoire joue un rôle très important dans un tel contexte, le boucher, le tanneur et le chevillard interfèrent dans le circuit ce qui doit rendre la tâche très compliquée. Et quelles sont les différentes étapes d’analyse des os ?

- Primo, je vide le sac. Secundo, je range les os en fonction de leur forme : plats en référence au squelette axial et longs en fonction des os appendiculaires. Tertio, je définis les parties anatomiques : crânes, vertèbres, côtes etc.. Quarto je définis l’espèce et quinto je fais l’appréciation des traces anthropiques.

Jean est clair. Son regard n’est pas fuyant, ses pupilles ne sont pas dilatées et ses narines ne tremblent pas. Mais que faisait-il dans le bureau de Pascal ?
Parallèlement à la discussion, j’entends une voix féminine proférer des insultes en italien parmi lesquelles sont inclus les prénoms Kévin et Aurélia. Je sors du bureau, me penche au-dessus du garde-fou de la mezzanine et aperçois cette femme qui m’avait ouvert la porte hier.

- Que se passe t-il ? Lui dis-je.

Elle se retourne, me fixe et me répond : « che vuoi ? »

NB : Ceci est une œuvre de fiction.