Episode 5 : Témoin indésirable dans la bibliothèque

10 février 2023 , par Théo Cointrel

Elle est assise devant moi et gratte nerveusement le vernis de ses ongles. Les trous crées m’évoquent une œuvre barbouillée. Gratter le vernis pour découvrir la vérité cachée. Cela me rappelle La chambre bleue de Pablo Picasso sur lequel figure le portrait d’un homme barbu dissimulé sous la gouache. Qu’à cela ne tienne. Je dois cesser de croire en mon personnage Ellroyesque.

« - Résumons, vous êtes sortie du bureau de Pauline. Vous êtes passée devant l’escalier qui amène aux chambres de conservation contrôlée ; une réserve humide et une réserve sèche. Et là, vous apercevez Kévin qui, portant une caisse dans les mains, maronne des mots que vous ne comprenez pas. A cet instant, il tente avec difficulté de ramasser une feuille froissée. Vous lui proposez votre aide. A partir de ce moment, je ne vous suis plus.

-Tout d’abord, je vous prie de m’excuser concernant la manière dont je vous ai répondu.. J’étais à cran, me dit-elle avec prudence.

- J’ai l’habitude, continuez je vous prie, lui dis-je.

- Allora, habituellement lorsque je propose de l’aide à Kévin, il refuse mais me remercie. Mais là, il était à la fois dédaigneux et mystérieux. Il me cachait quelque chose. Je sais qu’en ce moment, tout le monde est tendu, mais cette paranoïa générale est en train d’avoir raison de nous.
Inoltre, j’ai cru comprendre que votre présence en dérangeait plus d’un. Tout le monde se sent observé et étudié comme des vulgaires céramiques.

- Andreina, votre proposition d’aide était intentionnée, entretenez-vous de bonnes relations avec vos collègues ?

- Qu’est ce que cela veut dire ? Que je suis gentille ? Bien sûr que je le suis. Non faccio male a una mosca. Je suis extrêmement passionnée par ce que je fais et jamais je ne pourrais voler et revendre du mobilier archéologique à des fins personnelles.

- D’ailleurs, soyons plus intimes. Pouvez-vous me parler de votre parcours de vie ? Comment êtes-vous arrivée à Epinay ?

Probablement qu’elle me manipule, je dois en connaître plus sur elle. Elle est, peut être, à l’origine de la dispute car elle souhaite semer la discorde au sein du collectif de travail. Connaissait-elle déjà ses collègues contractuels ?

- Je suis arrivée en France, car je voulais devenir archéologue et travailler sur le terrain. La France offre plus de possibilités, en termes d’archéologie préventive?, que l’Italie. J’ai étudié en Sicile, dans la ville de Messine, puis j’ai effectué mon Master à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ma seconde année d’étude en France s’est concrétisée par la réalisation de mon stage à Épinay. Je connais bien la maison.
Durant mes études, j’ai travaillé sur la chrono-typologie? de la céramique? d’un dépôt votif du temple dédié à Athéna dans l’acropole de Gela. Je suis une spécialiste de l’époque archaïque (IXe siècle av. J.C – VIe siècle av.J.C) mais lorsque je suis arrivé en France, je me suis concentrée sur la céramique de l’âge du Bronze final ( XV e siècle av.J.C – IXe siècle av.J.C) du nord-est de la France. C’est pour cette raison, en autres, que j’ai effectué l’enregistrement de la céramique des fouilles de la Motte.

- Attendez, je n’ai pas tout saisi.. Qu’est-ce qu’un dépôt votif ? Et qu’est-ce qu’une chrono-typologie ? Je pense qu’il est essentiel que je comprenne ces termes pour saisir votre implication au sein de l’équipe.

- C’est une fosse qui, généralement, jouxte un édifice à caractère religieux. Les croyants y jetaient du mobilier de valeur : bracelets, céramiques, armes. En archéologie on les associe, depuis les années 1860, à des espaces très denses dans lesquels on retrouve, ce que nous autres appelons, des trésors de temple.
La chrono-typologie me permet de dater un mobilier par rapport aux caractéristiques qu’il présente. Nous utilisons, très souvent, un catalogue dans lequel sont répertoriés les formes des vases et les éléments de décors. Si l’objet que j’étudie, ressemble ou présente des caractéristiques similaires à l’un d’entre eux, j’en fais l’appréciation.
La céramique est faite à partir d’argile cuite à très haute température. Elle est très importante car elle permet de donner énormément d’informations sur les périodes historiques d’une zone de fouilles, les pratiques quotidiennes et la culture matérielle. Parmi elle, on retrouve : les coquemars, les amphores, les jarres, les Œnochoés etc..

Connaît-elle la nature des mobiliers? archéologiques qui ont été volés ? Sait-elle qu’une céramique, qu’un bracelet et qu’une arme sont dans le lot ? Dans tous les cas, toutes les informations qu’elle me livre me seront plus qu’utiles. Toutefois, je m’égare , je dois rester concentré sur le sujet de départ : la dispute.

- Très bien, vous vous êtes querellés à propos de quel sujet ? De la céramique ? Racontez-moi en plus.

- Écoutez, lors de la pause du matin, Kévin a avoué aux autres qu’il avait trouvé un morceau de feuille dans les escaliers qui amènent aux réserves de conservation. Sur cet échantillon figurent probablement la fusée d’une arme en métal, qui est la partie supérieure de la poignée, et un texte accompagné d’une date. Il n’osait pas vous donner les éléments d’informations car il n’était pas sûr que cela ait un rapport avec l’enquête. J’ai insisté pour qu’il vous transmette les indices, car je connais bien les enquêtes policières. J’adore Agatha Christie et Hercule Poirot, D’ailleurs vous lui ressemblez un peu avec votre moustache.

- Si je ne m’abuse, Hercules Poirot est joué par David Suchet qui est atteint d’alopécie androgénétique. Cette chute de cheveux m’est pour le moment étrangère, répliquais-je.

Je rêve où elle vient de me comparer à un homme de 76 ans. Soit elle joue la carte de l’humour pour dédramatiser la situation soit elle tente de me déstabiliser. Résumons la situation : Kévin monte les escaliers, croise Andreina. Il fait tomber un document et le ramasse. Andreina lui propose de l’aide et refuse. Andreina aperçoit du coin de l’oeil ce morceau de feuille froissé et lui insuffle l’idée d’en parler aux collègues. Toutefois, il ne souhaite pas m’en faire part. Andreina l’encourage voire l’oblige à venir me consulter ce qui a probablement agacé et énervé Kévin. Semblant franche mais bien attentionnée, Andreina a du lever le ton.

- Une fois que nous nous sommes prit le chou, Aurélia s’est interféré dans la discussion pour calmer les ardeurs de chacun et chacune. Elle m’a reproché d’être trop intrusive et parfois désobligeante. C’est alors que j’ai levé la voix en Italien. Je suis impulsive.
Je n’ai vraiment pas compris son comportement, elle est pourtant très calme. »

Cristina semblait dire, à Jean, qu’Aurélia se trouvait actuellement sur le chantier de la basilique, je ne pourrai donc pas m’entretenir avec elle. Il est assez étrange qu’une personne, d’ordinaire douce, reproche sans aucune raison le comportement d’une autre. Toutefois, je dois trouver confirmation auprès d’un autre agent. Je n’ai pas réellement confiance en Andreina, elle est beaucoup trop souriante, ses paroles sont des perfidies et ses émotions prennent le dessus.

Elle me tend ce bout de papier meurtri par un pliage en trois. Je remarque plusieurs fautes de français. Ce préambule a peut être été écrit par Andreina elle-même. De plus, la date ne coïncide pas avec le jour où le vol a été perpétré.

Une fois la péroraison terminée, je m’aventure dans les locaux et aperçois une ombre à terre. J’étais à des années lumières d’imaginer ce que j’allais trouver...

NB : Ceci est une œuvre de fiction.