Episode 6 : Un jeu dans le jeu
17 février 2023 , par
Je serpente entre les étagères remplies de livres et me cogne contre le coin d’un meuble, faisant trembler les cimaises murales. Plus j’avance, plus j’angoisse à l’idée de rencontrer un corps sans vie. Mon œil s’adapte enfin à la baisse de luminosité, je distingue le visage de la victime. Il s’agît d’un homme portant une barbe épaisse. Ma vision scotopique ne perçoit aucun mouvement respiratoire.
Je me rapproche de lui pour lui prodiguer les premiers soins. Je lève son visage mais ne détecte aucun son. Je le mets en position latérale de sécurité, lui ôte ses lunettes et m’assure que ses jambes sont allongées. Je prends son pouls, son cœur bat toujours. Je suis en partie soulagé, je me dis qu’il est encore temps de le sauver.
Je prépare la réanimation en lui dézippant sa polaire logotée ’Archéologie, Seine-Saint-Denis’. A cet instant précis, j’entends des pas lourds s’approcher de nous. Ils proviennent du couloir qui jouxte la pièce dans laquelle nous nous trouvons. Plus les pas se rapprochent, plus le bruit se distingue, je pense reconnaître les chaussures de Patrick. L’effet Doppler et ma perception du décalage des ondes sonores sauveront-t-ils cet homme ?
« - Patrick ? C’est bien vous ? J’ai besoin d’aide, un homme inconscient est à terre. Il n’y a aucun interrupteur ici, aucune lumière, je n’arrive pas à identifier l’individu, lui criais-je.
- Quelqu’un souhaite du café, il en reste encore un fond, me répond-t-il sans prendre en considération la question, quelque peu préoccupante, que je venais de lui poser.
- Patrick priez de cesser vos affectations de déférences, j’ai besoin de votre aide.
Patrick se présente à moi, paniqué, en état d’inertie avancé et me fait remarquer que l’interrupteur se trouve entre le contrefort mural et l’armoire électrique. Le voyant tétanisé, je décide moi-même d’enclencher le bouton. Un flash lumineux survient. Nous nous retournons et voyons Rémy se redresser, il se frotte avec nonchalance les yeux. Il fustige d’une voix grave et nasale :
- Messieurs, pourquoi m’avez-vous dérangé dans mon sommeil ? J’étais en pleine sieste et vous l’avez interrompu pour je ne sais quelle raison injustifiée.
Mais quelle bestiole l’a piqué celui-là. Probablement la mouche tsé-tsé. Cet homme nous reproche d’avoir tenté de lui sauver la vie , alors qu’il rêvait sans nul doute, au vu du sommeil profond dans lequel il était plongé, d’un événement déraisonné.
Les minutes passent, je m’entretiens avec lui. Il me confie qu’il sieste, quotidiennement après l’heure du repas, dans la bibliothèque. Je lui demande, par curiosité, quel est son rituel pour bien se reposer, il me répond : vous vous allongez dans le noir puis patientez jusqu’à ce que Morphée vienne vous caresser la joue avec ses feuilles de pavot. Sacré personnage ce Rémy, il a dû en consommer de l’opium.
- Rémy, quelles ont été vos activités hier ?
- J’ai fouillé un prélèvement dans lequel j’ai retrouvé un rachis lombaire que nous allons devoir analyser. Cela proviendrait d’un porc. Puis, j’ai lavé de la TCA , qui n’est autre que la terre cuite architecturale. J’aime fouiller ces blocs de prélèvement, car les chances d’y trouver des petits objets sont réelles.
J’ai effectué une licence en histoire de l’art et archéologie à Rennes et à Lyon II. Puis j’ai écrit mon mémoire de maîtrise sur les petits objets du haut Moyen Âge en Auvergne. J’ai étudié du mobilier funéraire mérovingien, des parures, fibules?, bagues, mais également des objets décoratifs et de la tabletterie c’est-à-dire de l’os ou de l’ivoire sculpté.
J’ai réalisé un catalogue d’objets sur une douzaine de sites allant du Ve au VIIIe siècle de notre ère. Les objets étaient classés en fonction du matériau et non de la période. Mon travail consistait à en faire l’appréciation en fonction des contextes : sites funéraires ou sites d’habitats en plaine ou en altitude. Toutefois le travail fut compliqué, car la majorité des données récentes se focalisaient sur les sarcophages et les sépultures. Je devais donc pêcher les infos dans des archives datant du XIXe siècle. Durant cette période, les chercheurs s’intéressaient énormément aux objets qu’ils qualifiaient de bizarreries.
J’étais loin d’imaginer qu’il me parlerait autant sans que je lui demande. Il n’a vraiment pas l’air de se soucier de ce qui se trame? dans ces locaux. L’enquête semble ne lui faire ni chaud ni froid. Mais il est un témoin de taille. Je dois pouvoir lui tirer les vers du nez. Je vais tenter un coup de bluff. J’imagine qu’il sait des choses sur les objets de valeur du lot qui a disparu.
- Quel est l’objet le plus prestigieux que vous avez découvert durant votre carrière Rémy ?
- J’ai participé à une opération de fouille programmée en 2017 qui s’inscrit dans une phase de recherches à l’abbaye de Cluny. On y a découvert un trésor médiéval dont la valeur est estimée à plus de sept cent mille euros. Parmi les objets figurent : plus de deux mille deniers et oboles en argent, vingt-et-un dinars musulman en or, un anneau sigillaire orné d’une intaille antique qui sert de cachet, une feuille d’or et une pièce en or.
Seigneur, il est impassible. Une formation professionnelle sur la morphopsychologie de plus à mettre à la poubelle.
- Mais c’est une découverte exceptionnelle ! J’imagine que de nombreux faussaires ont été tentés de voler ces artefacts?. Rémy, je ne vous apprends rien, le vol du lot est un grave préjudice.
Répondez laconiquement à mes questions. Sommeillez-vous hier entre midi et deux heures ? Et auriez-vous observé ces derniers jours un comportement inhabituel d’un tiers ?
- Oui tout à fait, lorsque je m’apprêtais à m’endormir, j’ai aperçu Pascal qui se dirigeait vers les escaliers qui amènent aux réserves de conservation. Il tenait dans les mains un paquet de feuilles A4. Ses allées et venues m’ont réveillé. Je l’ai vu passer avec plusieurs chemises dans les mains. Je trouvais cela assez étrange, car il n’a pas pour habitude de transporter des documents et encore moins dans les réserves de conservation. Cela n’a aucun sens selon moi.
- En remontant des escaliers, Kévin aurait trouvé ce bout de feuille. Tenez. Qu’en pensez-vous ? Cela vous évoque -t-il quelque chose ? Il est fait mention de trésors des temples.
- J’imagine que cet article fait allusion au fanum, ces temples votifs gallo-romain d’inspirations celtes. Même si j’aime beaucoup l’archéologie du bâti, je ne suis pas suffisamment expert dans ce domaine. De plus, je ne sais pas exactement ce que vous cherchez à savoir. Kévin est sûrement le plus légitime.
Kévin est actuellement à la basilique de Saint-Denis, je dois lui passer un coup de fil pour qu’il rentre au centre. Trente minutes plus tard, je le reçois dans mon bureau aménagé qui se situe dans les locaux de la médiation. Caroline et Manon, les deux chargées de valorisation nous proposent un thé vert à la menthe. Pendant que Kévin s’installe, je décide de passer par la cuisine pour y récupérer des cuillères. C’est à cet instant que Manon me demande : « combien de temps allez-vous encore rester ? Vous n’avez pas de femmes ni d’enfants ? » et Caroline qui surenchérit « Vous êtes marié ? » Indiscrètes, n’est-ce pas ?
Les filles ne sont pas impliquées dans cette affaire, elles ont toutes les deux pris trois semaines de congés consécutifs et ont passé une semaine entière dans les bureaux de Bobigny soit un mois entier sans contact direct avec le centre d’Epinay. D’après l’enquête, l’auteur.e de cette rapine aurait agit en l’espace de quelques heures.
Je décide enfin de rejoindre Kévin.
- Pour avoir lu, à de multiples reprises, ce morceau de feuille, il s’agit probablement d’une allusion faite aux rites guerriers gaulois ou gallo-romain. Mais je ne pourrai vous en dire plus, ma spécialité est l’acquisition de donnée et le SIG.
- SIG ? Qu’est-ce que cela ? Rémy m’a dit que vous étiez un spécialiste du bâti.
- Non pas tout à fait, cela me passionne, j’ai quelques connaissances, mais je ne suis pas un spécialiste. Le SIG, système d’information géographique, permet de localiser des vestiges qui ont été découverts sur un chantier de fouilles notamment grâces aux coordonnées et à l’élévation. Il génère des cartographies qui permettent aux archéologues et aux spécialistes de mieux comprendre le terrain dans lequel ils évoluent. Je suis probablement capable de reconnaître les fondations d’un temple sur une carte si c’est ce que vous souhaitez.
Quand d’un coup, une voix masculine interrompt notre échange.
- Les gars, venez voir ! Regardez ce que j’ai trouvé !
Sylvain me tend une carte jaune.
- Quelles sont ces inscriptions ? »
NB : Ceci est une œuvre de fiction.