Episode 7 : Paradis Incertains
3 mars 2023 , par
Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, elle fut particulièrement agitée. Je n’arrive toujours pas à faire le lien entre les éléments qui figurent sur cette carte jaune. Le Temple de Dirthamen est peut être l’indice qui m’a le plus aiguillé mais rien n’est absolu. Néanmoins, ce mot est récurrent dans l’ énigme. Qui dit temple, dit cultes. Mais parlons-nous de rites funéraires, d’offrandes ou de viatiques. Et la définition de ces données est-elle indispensable à la compréhension de l’enquête ? Le ou la suspecte nous conduit-elle droit dans le mur ? A ce stade, j’en ai aucune idée. Les doutes s’accumulent.
Posé dans mon appartement du XVIIe arrondissement parisien, j’observe, à travers les stores enrouleurs tamisant, une femme d’une trentaine d’année qui se rend dans le salon funéraire qui fait l’angle de la rue. Elle porte une doudoune rembourrée sur laquelle est brodée ’Paradis incertains’. Cette inscription me rappelle la conversation téléphonique entretenue, plus tôt dans la journée, avec le commissaire Pierru. Plaid sur le dos, café dans la main et téléphone dans l’autre, je me tenais devant mon ordinateur quand j’expliquais les raisons de mon absence au chef.
« - Cela fait désormais un mois que je siège au BPA. Il m’a fallu prendre suffisamment de recul pour comprendre les différentes relations qui lient les archéologues du centre. C’est pour cette raison, que je ne vous ai pas donné de nouvelles pendant près d’une semaine.
- Vous m’avez inquiété Cartier, d’après vos dires, cette affaire est digne d’un polar mêlant histoire et ésotérisme, un univers qui dépasserait tout entendement. Vous m’avez dressé le portrait des archéologues ainsi que leur spécialité, puis parlé d’un rite votif et d’un temple gallo-romain. Je vous avoue que j’ai du mal à faire le lien entre tous les éléments précédemment mentionnés. En outre, vous m’avez évoqué le cas d’une potentielle pratique sépulcrale ?
- Oui tout à fait. Pardonnez-moi Commissaire, mais cela est presque anecdotique. Je m’intéresse principalement aux éléments qui m’ont été fournis et qui me permettent de remonter la piste du criminel. Ces histoires de rites feront peut-être l’objet d’une seconde enquête menée par le collègue Christian Ustenza. Il est toutefois bon de rappeler que le responsable se joue probablement de nous. Il dissémine plus d’indices que je n’en rassemble.
- Hum.. Il s’étouffe puis reprend son souffle. Très bien je vous laisse gérer la partie de Cluedo. Toutefois, j’ai besoin d’obtenir ce que vous savez sur l’anthropologie et les rites sépulcraux. Je dois transmettre ces informations à Ustenza.
Le commissaire est loin d’imaginer la montagne d’indications que j’ai en ma possession. Lui envoyer cela me prendrait bien trop de temps, je dois lui faire un résumé précis de ce que j’ai appris ces derniers jours. Enfin, je lui enverrai les documents par mél.
Des grésillements se font entendre dans le téléphone, le commissaire nasille des mots que je n’identifie pas. Une fois ses balbutiements terminés, il revient vers moi et tente de reprendre la discussion là où lui-même l’avait arrêtée.
- Je vous écoute Guillaume, me dit-il d’un ton péremptoire.
- Comme vous avez pu le constater, les archéologues ont chacun et chacune une spécialité qui m’aide à comprendre des éléments d’enquêtes. Ce lundi, l’archéologue Sylvain m’a tendu une carte étrange avec des éléments d’informations impertinents. Toutefois, je lui ai demandé où l’avait-il trouvé. Il m’a répondu que la carte était posée sur le cartilage costal du squelette Oscar. Ne sachant pas où cela se situe, Alizée et lui en ont profité pour nous faire un bref cours sur les os du corps.
- Existe-t-il un rapport entre cette carte et l’anthropologie ? Interrogea le chef à la voix éraillée.
- Vous avez mis le doigt là où il fallait mon Commissaire. Je ne m’étais pas encore entretenu avec plusieurs individus, simultanément, il fallait que j’ébranle ma manière de procéder. J’ai invité les trois archéo-anthropologues à venir me rejoindre dans le bureau pour discuter d’un éventuel rapport entre ces éléments importuns.
- Et cela a t-il été concluant ? Car j’ai cette impression, mon cher, que vous vous noyez dans un verre d’eau.
- Écoutez, je vais tâcher d’être précis. Tout d’abord, Debborah, Sylvain et Alizée m’ont tous les trois parlé de ce qui les amenait à pratiquer l’anthropologie. La raison première s’articule autour d’une curiosité qui les pousse à s’interroger sur la relation entre les vivants et les morts. Ils m’ont confirmé que cela leur permettait d’exorciser la peur qu’ils ont de l’au-delà.
- C’est presque cathartique, cette pratique les libère d’un poids jugé impur par la société judéo-chrétienne dans laquelle nous baignons.
- Au vu du champ lexical que vous employez, la mer semble vous manquer Commissaire, lui rétorquais-je avec un brin d’ironie.
D’après eux, cette pratique scientifique permet de donner la parole aux personnes oubliées, leur redonne vie, car les techniques d’analyses employées permettent de faire parler le défunt : la récupération par procédés enzymatiques d’ADN fossiles ; le test ADN sur restes osseux pour établir des liens de parentés entre individus ; les isotopes présents partout dans l’environnement, dans l’eau et dans les tissus, l’hydrogène et l’oxygène et le carbone (carbone 14) subissent fréquemment des analyses isotopiques, car les êtres humains consomment de l’eau, ces enzymes permettent de comprendre les origines géographiques des individus et leur consommation des aliments ; la méthode Bruzek et Murail par identification des genres via la mesure des os coxaux ; l’étude des paléopathologies (maladies observées chez les populations du passé) permet d’établir des diagnostics physiques et sanitaires.
- Très bien, vous venez d’éclairer ma lanterne en me présentant les grandes lignes de l’archéo-anthropologie. Ensuite ?
Pierru semble être agacé des circonlocutions que j’emploie.
- Les indices tendent à me faire croire qu’il existe un rapport entre les temples gallo-romains et les rites mortuaires Commissaire. Tenez-vous bien. D’après Debborah et Sylvain, il existe deux types de rites : l’incinération et l’inhumation.
Lors de l’incinération, le défunt est allongé en décubitus dorsal sur un lit funéraire. Durant le cortège, la famille peut faire appelle à des pleureuses, des danseurs et danseuses. Il existe deux types de pratiques cinéraires : la première consiste à élever un bûcher sur lequel le corps du mort est réduit en cendre. Une fois que les cendres et esquilles sont récupérés, ils sont introduits dans une urne par l’officiant. C’est lors de ce rituel que les dépôts votifs et viatiques sont déposés. Il est également possible que des parures et des armes viennent rejoindre les cendres.
La seconde pratique consiste à creuser un trou au-dessus duquel s’élève le bûcher. L’intensité du feu suffit à brûler le corps et l’ensemble du catafalque dans la fosse. Les offrandes sont faites durant l’incinération. Une fois que les cendres refroidissent, la fosse est recouverte de terre.
Ces pratiques sont d’autant plus fréquentes chez la classe populaire et moyenne de la Gaule septentrionale que dans le sud où l’on préfère l’inhumation avec Tegulae qui sont des terres cuites architecturales placées autour du défunt sur lesquelles reposent les offrandes.
- Et en quoi cela vous permet d’avoir une idée du criminel qui sévit dans ce bureau ? Êtes-vous à la ramasse Cartier ? Vous vous éloignez du sujet de départ et vous participez à la perte de mon temps. Concentrez-vous sur les indices que le criminel vous fournit et tachez d’accélérer le pas.
Aurait-il oublié qu’il m’a lui-même demandé ces infos ?
- Commissaire, je vous assure que tout ce que je vous raconte est lié de près à cette affaire de faussaire. Je pense que les rituels qui gravitent autour de cette enquête sont réalisés dans des temples puis sur les lieux d’inhumation d’individus assassinés.
- Mais quelle mouche vous a piqué ? La même que l’archéologue qui dort ? Restons sérieux Guillaume ! S’indigna le chef.
- Écoutez, Alizée et plus particulièrement Sylvain ont suivi un cursus en archéologie forensique ils sont probablement capables d’éclairer les circonstances de cette affaire criminelle. Les archéo-anthropologues sont fréquemment sollicités sur les investigations forensiques. Ils m’ont tous les trois affirmé, en tant qu’anthropo, qu’ils étaient de véritables enquêteurs, en ajoutant qu’ils étaient prêts à réparer les injustices qu’ont subi les personnes sacrifiées.
- Ne soyez pas naïf Cartier, ils vous ont raconté cela pour vous éloigner d’une potentielle piste qui les concernerait.
- Je vous assure que mes dires ne sont pas des inanités. Les nombres qui figurent sur cette carte seraient, d’après Kévin, des coordonnées. J’ai directement pensé à un lieu où reposerait une personne. Ce que je veux vous dire Commissaire, c’est qu’en prenant à contre pied l’enquête je saisie d’abord le but ultime des ventes de ces artefacts? archéologiques pour enfin remonter jusqu’au criminel.
- Puis quoi d’autres ? Vous allez me parler des insectes rampant qui mangent les corps ? Me dit -il en manifestant du dédain.
- L’archéoentomologie ! L’objet de cette spécialité est l’étude des insectes. Elle est particulièrement employée dans le forensique. Au bout de quelques minutes, un corps sans vie peut être infesté d’insectes nécrophages.
- Cessez vos baratins, je vais vous virer si ça….
Perdu dans mes pensées, je sors de mon état de torpeur et observe avec dissipation la photo que j’ai prise de ces os humains. Quand d’un coup, j’aperçois le visage familier de cette femme à la doudoune brodée sortant du salon à un horaire indu. Elle est petite, brune et ses cheveux sont détachés. Je la reconnais.
- Mais c’est ... »
NB : Ceci est une œuvre de fiction.