Episode 8 : Enquête parallèle

10 mars 2023 , par Théo Cointrel

Il est 19 heures, la nuit tombe sur Paris. Cela fait désormais deux heures que j’ai quitté Epinay et ces lignes de transports bondées. Je visionne le Replay du combat de Mixed Martial Art opposant le français à l’américain et me sers une tasse de thé vert Matcha. En retournant dans le salon, j’entends le commentateur éprouver de la déception, le français est au sol, ébranlé parce qu’il venait de lui arriver. Immobilisé contre la cage par l’américain, une guillotine lui a été appliquée sans aucune résistance. Une fois l’événement terminé, je me prépare à manger et observe le cadre, accroché au-dessus de l’écran de la télévision, que mes parents m’avaient offert en souvenir de leur voyage à Bratislava. Ils étaient beaux, rayonnants, ma mère portait une robe folklorique trachten, un gilet brodé en velours et une coiffe de fleurs bariolée tandis que mon père, plus sobre, portait une chemise blanche brodée et une ceinture en cuir de vachette à deux sangles qui peuvent être utilisées pour attacher le fourreau d’un poignard ou d’une épée.
Quand d’un coup ma mémoire me rappelle un élément important que je n’avais pas saisi dans l’instant des faits. Pour être tout à fait honnête, la broderie « Paradis Incertains » de la doudoune était accompagnée d’une épée qui, de là où je me trouvais, ne présentait pas de fusée comme celle qui figurait partiellement sur le document que Kévin avait ramassé l’autre jour. A la différence près que celle-ci n’était pas rangée dans son fourreau…
Je devais impérativement retourner au bureau pour consulter un document que Mirka semblait examiner l’autre jour. Il faut que j’appelle Patrick, lui seul peut m’ouvrir le centre à une heure si tardive.

« - Oui ? J’écoute ? Qui peut bien m’appeler à cette heure-ci ? J’étais en train de faire cuire mon poulet rôti.

- Patrick, c’est Guillaume, l’enquêteur de la PJ. Je vous prie de m’excuser pour cet appel impoli, mais il faut absolument que je retourne au bureau dans l’heure qui suit. Je dois consulter un document très important..

- Mais vous ne pouvez pas attendre demain matin ? Me dit-il dépité. Que recherchez-vous exactement ? J’ai très peu de temps pour moi, j’en fais toujours pour les autres..

- Écoutez, je recherche un document qui traite des épées, de leur utilisation et de leur signification du IIe siècle av.J.-C. au IIe siècle ap.J.-C. Cela vous dit quelque chose ? Vous pourriez peut-être m’aider ?

- Cela ne me dit absolument rien, je suis chargé de la logistique pas des archives. Je dois vous laisser..

- S’il vous plait.. C’est extrêmement important, je suis sur le point de trouver le coupable de cette affaire qui vous attriste tant. Faites-moi confiance, c’est une question de minutes…

- Très bien. Dois-je vous prendre ? Me dit-il avec altruisme. Il poursuivit. Par contre, je ne pourrai y rester qu’une heure.

- Cela suffira amplement. Merci beaucoup. Dans 10 minutes, je vous attendrai Porte Maillot.

Une fois ma ceinture de sécurité enclenchée, j’ouvre mon ordinateur portable et effectue quelques recherches sur internet concernant l’équipement des guerriers gaulois et gallo-romains. J’ignorais que les Gaulois furent craints par les Romains a tel point que lorsqu’ils menacèrent une cité comme Rome, celle-ci déclarait le tumultus gallicus qui ordonnait à tout homme en âge de combattre à prendre les armes. C’est ainsi, entre autres, qu’ils eurent inspiré des méthodes de combat ainsi que des équipements de bonne qualité aux Romains tels que la bipenne. J’ignorais, également, que les Gaulois migraient et qu’ils diffusaient leur culture, sur bon nombre de territoires du bassin méditerranéen. Il existait des Gaulois, originaires du bassin parisien en Italie du Nord que l’on appelle les Senons, des Gaulois installaient à Delphes en Grèce suite à la bataille aux Thermopyles en 279 av.J.-C que l’on nomme les Galates et qui s’installeront, plus tard, dans l’actuelle Turquie. Cela me rappelle, la première discussion que j’ai entretenue avec Aurélia, concernant le sujet de sa thèse : l’étude des réseaux d’acheminement d’objets romains ou grecs dans le monde celtique durant la Tène finale. Son corpus comprenait 60 000 objets issus de 2000 sites. Elle souhaitait comprendre la manière dont étaient utilisés ces objets une fois réceptionnés. Elle a travaillé sur des objets usuels, mais je me souviens de l’exemple de l’amphore. D’après elle, dans le monde celtique les amphores vinaires ne servaient pas forcément à boire, elles étaient décapitées pour des usages rituels. Au lieu de décapiter un individu, on décapitait l’amphore à son col. Les Gaulois détournaient l’usage des objets qu’ils importaient. Ils importent l’objet mais pas la fonction. Il en est de même pour les armes romaines ou grecques importées dans le monde celtique. Par exemple, le guerrier de vachère, qui est une sculpture, illustre ce croisement culturel par le port d’un glaive ou pugio détourné en arme d’apparat, d’un torque gaulois autour du cou et d’une suspension celtique.
J’en conclus ironiquement que les échanges d’objets, parfois curieux, étaient déjà en vogue à cette époque.

- Nous sommes arrivés Guillaume. Je désactive l’alarme et nous pourrons rejoindre la bibliothèque.

- Très bien, aidez-moi à chercher tous les livres ou documents disponibles sur les armes chez les Gallo-romains. Tiens, je viens de trouver un bouquin d’archéologie expérimentale sur la maîtrise des forgerons Gaulois. Il est écrit : L’épée est connue dès l’Age du Bronze, elle était coulée dans ce matériau. Le coulage du bronze ne permettait pas la réalisation d’éléments fins, ainsi les lames étaient larges. Les épées en fer forgé ont conservé la forme des épées en bronze, toutefois les lames sont conçues avec des tranchants parallèles. Elles peuvent être losangiques, soit plates ou lenticulaires (rondes et allongées). Les poignées sont essentiellement constituées de matières périssables : os, bois, corne. Elles seront durant la Tène finale (Ier siècle av.J.-C) , période gallo-romaine (Ier siècle ap.J.-C. Jusqu’au Ve siècle de notre ère) et le Bas-Empire (IIIe siècle ap.J.-C.) en bronze ou en fer. Les épées, datant de cette période, retrouvées lors de fouilles archéologiques sont plutôt courtes, moins de 15 centimètres. Il est également écrit que seul deux voire trois doigts peuvent agripper la fusée de la poignée. Il est possible que ces épées, trouvées en milieux funéraires, ne servent pas au combat. D’autres hypothèses sont émises comme celles des armes rituellement déformées ou sectionnées comme il est possible d’en trouver dans des sanctuaires ou sur des lieux d’incinération.
Ce livre est très enrichissant Patrick, vous devriez le consulter ne serait-ce que pour votre culture..

- Vous savez d’où vient le terme fusée ? La partie comprise entre la garde et le pommeau, renflée et fuselée, proviendrait du mot fuseau qu’est un objet qui permet le filage de la laine, du lin et j’en passe, me répond-il en m’étalant ses connaissances probablement ingérées lors de visionnages documentaires traitant du sujet.

- C’est fou ! Je viens de trouver ce que je recherchais Patrick ! Ce document que Mirka avait consulté l’autre jour sur ces fameuses fusées. A priori, elles joueraient un rôle sur le style de combat et offriraient chacune un confort différent à l’usage. Pendant près de 2000 ans, les fusées sont fuselées, puis du VIIe au XIIIe siècle deviennent droites pour ensuite redevenir fuselées courant du XIVe siècle. Il est écrit : La poignée fuselée permettrait la frappe d’estoc, c’est-à-dire par la pointe de l’épée, tandis que la poignée droite permettrait la frappe de taille, c’est-à-dire par le tranchant de l’arme. Ainsi il était plus probable de mourir poignardé au combat, chez les gaulois, que de mourir lentement d’une contusion ou d’un traumatisme comme à Crécy en 1346. Toutefois, durant la guerre de 100 ans, de 116 ans plus précisément, l’apparition des brigantines et des plaques de fer oblige un retour au poignet fuselé et à la lame plus pointue pour percer les armures.
Pourquoi avait-elle consulté ce document ?

- Pourquoi s’intéresse-t-elle tant aux fusées ? Peut-être qu’avant d’être archéologue, elle rêvait de devenir spationaute.

- Pour être honnête, je pense qu’il existe un rite d’initia…

Soudainement, nous entendons un bruit sourd provenant de la salle d’exposition. Un bruit métallique atténué par le linoleum? bleu vieillissant se propage dans les dédales du centre.
Main sur la poignée de mon SIGSauer, je suis prêt à mettre en joue quiconque tenterait de nous agresser. Une fois atteint le vestibule, Patrick me fait remarquer une feuille A4 collée sur l’étagère ajourée sur laquelle sont entreposés des prélèvements de la fouille de la Motte. Sur cette feuille est écrit : « Je to žena, ktorá pomáha druhému ».

- Vous avez une idée de ce qui est écrit ? Lui demandais-je.

- Probablement une langue d’Europe de l’Est ou Centrale. Attendez, pourquoi ne pas écrire cela sur une interface de traduction. Nous pourrons obtenir quelques infos, qu’en pensez-vous ?

Le mot ’žena’ avait été écrit sur le bout de carton jaune que Sylvain m’avait tendu l’autre jour. Il veut dire ’femme’ en…

- Patrick c’est du slovaque.. Une archéologue de l’équipe contractuelle est slovaque n’est-ce pas ? Auriez-vous sa fiche d’identité, un curriculum vitae, un document me permettant d’en apprendre davantage sur elle.

- Oui, je peux trouver cela sur le réseau. J’ouvre ma session. Vous pensez qu’elle est impliquée dans cette affaire ? Tenez, j’ai son CV.

- Alors : Slovaque née à Partizanske. A participé à la création d’une base de données relevant les sépultures Vekerzug , culture nomade et laténienne (Ve au Ie siècle avant notre ère) d’Europe central. Représentation horizontale et verticale des individus inhumés à Kosicé. En lien avec la découverte de 11 squelettes de chevaux, d’une femme immature , d’un crâne portant des traces de feu et d’une fosse sacrificielle dans laquelle ont été retrouvés cinq squelettes de femmes sacrifiées.

- Vous trouvez ce qui vous intéresse ? Me demande Patrick sans trop vouloir me perturber dans ma recherche d’indices. Je tenais également à vous rappeler qu’il y a probablement un individu dans le centre.

- Vous avez raison.. mais sachant que vous avez bloqué toutes les issues, il ne pourra pas aller bien loin. Cling ! Vous avez entendu ? Suivez-moi ! Le bruit venait de l’auditorium. Rentrons. Restez derrière moi et ouvrez l’œil.

Un carton, rempli de combinaison chimique de catégorie III tombe derrière la réplique d’un bouclier gaulois, laissant entrevoir la touffe de cheveux poivre et sel de…

- Pascal ? Que faites-vous ici à une heure si tardive ? Il est bientôt minuit et vous vous promenez dans les couloirs du centre ? Dans quels buts ?

- Je vais tout vous expliquer M.Cartier, me dit-il honteusement. »

Après avoir passé la nuit dans mon bureau de fortune, j’apprends, en mangeant mon croissant et en buvant le café fraîchement torréfié de Patrick, que le salon funéraire situé en bas de chez moi avait été victime d’une tentative d’incendie volontaire durant la nuit. D’après la journaliste, les portes coupe-feu ont limité la propagation des flammes. La police aurait retrouvé sur place des cartons portant l’inscription « Paradis Incertains ». Il s’agirait d’un groupuscule clandestin connu pour la revente, à l’international, d’objets archéologiques. Le siège se situerait en Slovaquie.
En lisant cet article, je compris les arguments de Pascal et du même coup combien il vit juste sur la situation..

NB : Ceci est une œuvre de fiction.