Les Espaces d’Abraxas
Espaces d'Abraxas
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Les Espaces d’Abraxas : la théâtralisation du quotidien
Un monument pour la ville nouvelle
En 1965, le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Parisienne (SDAURP) annonce la création de cinq villes nouvelles. Implantée à l’Est de la capitale, Marne-la-Vallée a pour rôle de contrebalancer l’hégémonie du centre d’affaires de La Défense. Son Établissement Public d’Aménagement (EPA Marne) est créé en 1972. Conséquence du choc pétrolier de 1973, la crise économique ralentit fortement la croissance de la ville nouvelle. La ZAC? du Clos des Aulnes, réservée à l’édification de tours de bureaux, demeure un terrain vague.
En 1978, le programme? de la ZAC est réorienté vers du logement. Pour rentabiliser le foncier, les responsables d’EPA Marne prévoient une densité élevée ; pour attirer des habitants, ils désirent y associer une image forte. Réputé pour son style extravagant, Ricardo Bofill se voit attribuer la mission de réaliser non seulement un immeuble d’habitation, mais un véritable monument. À l’orée de la ville nouvelle, il va concevoir une œuvre des plus marquantes du paysage urbain. Les Espaces d’Abraxas sont construits entre 1980 et 1983.
Ricardo Bofill (1939-2022) nait à Barcelone. Il se forme à l’École d’architecture de Barcelone et aux Beaux-Arts de Genève. En 1963, il s’entoure d’architectes, d’ingénieurs, d’urbanistes, de sociologues, mais aussi d’écrivains, de cinéastes et de philosophes pour créer son agence, le Taller de Arquitectura. En 1975, Bofill se fait connaitre du public français en tant que favori du concours sur la rénovation du quartier parisien des Halles.
Un pont entre histoire et modernité
Combinant trois bâtiments autour d’une place commune, le programme vise à créer une mixité en intégrant un mélange d’HLM et d’accession à la propriété. Le Palacio, s’élevant sur dix-huit étages, comprend 441 logements. Traversé par une rue intérieure au rez-de-chaussée?, ses étages sont desservis par un ensemble de coursives extérieures, donnant accès aux appartements sur deux niveaux. Le Théâtre, un hémicycle de neuf étages accueille 130 logements. L’Arc rassemble vingt appartements sur dix étages.
Le plan masse? initial du quartier de bureaux, est transformé habilement en une référence à l’Antiquité. Le Palacio évoque une frons scaenae, massive et ordonnancée. Le Théâtre, joue le rôle de gradins. Au centre, L’Arc forme le chœur de ce théâtre grec. L’ensemble – compris entre la départementale 330 et le parking du centre commercial des Arcades – tourne le dos à un environnement urbain minéral et conçu pour l’automobile. L’espace créé forme ainsi un écrin d’architecture et de verdure, dont la fonction se veut celle d’une place publique, favorisant la contemplation et les interactions humaines. Les bâtiments sont percés d’ouvertures monumentales, « fenêtres et portes urbaines » ouvrant? la perspective sur le reste de la ville. Accentuant le caractère onirique du lieu, Bofill subvertit les formes en leur attribuant de nouvelles fonctions. Les colonnes abritent des cages d’escaliers ou servent de bow-windows. Les marches font office de bancs. L’arc de triomphe est habité.
Tous les éléments caractéristiques du style qu’adopte Ricardo Bofill dans ses œuvres françaises sont présents : panneaux en béton préfabriqué, vocabulaire classique, monumentalité et complexité des volumes. Bofill invente des ordres auxquels il applique des rapports d’échelles amplifiés à l’extrême. Pour Le Palacio et L’Arc, il respecte une composition verticale « à la française », avec soubassement?, piano nobile et frise. Le brun ocre des façades dévoile cependant l’influence des origines catalanes de l’architecte.
Généralement rattachée au mouvement du post-modernisme, cette architecture répond à la majorité des critères de ce style : critique du modernisme, réintroduction des formes du passé, collage entre des éléments hétéroclites, volonté de démocratisation de la culture. L’ironie qui caractérise les réalisations post-modernes est toutefois absente chez Bofill. Celui-ci considère le répertoire classique comme un langage fondamental et intemporel, qu’il utilise comme un architecte de son temps. Sa démarche est à rapprocher de l’architecture de Fernand Pouillon, alliant composition classique et technique moderne, ou de l’ordre du béton armé? d’Auguste Perret.
L’usage du vocabulaire classique n’est pas un simple ornement, mais revêt une double fonction : ancrer l’édifice dans une histoire locale et employer un langage appréhendable par tous, avec plusieurs niveaux de compréhension. Le grand public y trouve une somme de formes signifiantes et familières, puisées dans l’inconscient collectif. Les amateurs d’architecture y perçoivent des citations d’œuvres majeures de l’histoire de l’architecture occidentale : la Saline Royale d’Arc-et-Senans de Claude-Nicolas Ledoux dans la modénature? du béton ; la bibliothèque Laurentienne de Michel-Ange dans les portiques à doubles pilastres ; les édifices imaginaires de Jean-Jacques Lequeu et les Carceri d’invenzione de Piranèse dans le dédale des coursives ; le parc Güell d’Antoni Gaudí, dans les corniches du Théâtre.
À la fin des années 1970, les avancées en matière de préfabrication lourde? rendent possible la création de panneaux d’une qualité semblable à de la pierre. Pour Ricardo Bofill, la régularité permise par l’industrialisation? en fait la technique idéale pour mettre en œuvre un répertoire classique. Elle lui procure en outre la liberté d’étirer les échelles, de créer des porte-à-faux? massifs, de recombiner son langage dans de multiples réalisations. Une quarantaine de moules ont servi pour couler les quelques 2 000 éléments de façade.
La plasticité du béton lui permet aussi de composer différentes couleurs et textures. À cet effet, il collabore avec Jean-Pierre Aury, plasticien devenu conseiller ès bétons, qui collaborera ensuite sur nombres de chantiers prestigieux comme Le Grand Louvre de Ieoh Ming Pei? ou la bibliothèque François-Mitterrand de Dominique Perrault. Ils définissent cette conception du matériau comme architectonique : les panneaux de béton jouent un rôle aussi bien structurel qu’esthétique.
Un projet inachevé
Le visiteur des Espaces d’Abraxas doit considérer qu’il est le témoin d’un projet inachevé. La maquette conservée dans l’agence barcelonaise de l’architecte offre ainsi une image sensiblement différente de la réalité.
Imaginant une œuvre totale, Ricardo Bofill intégra au projet des éléments. Une végétalisation, conjuguée à la brutalité du béton, devait conférer à la structure? une apparence romantique. Cet aménagement paysager s’accompagnait d’une scénographie lumineuse et sonore. Avec un éclairage mouvant, l’architecte souhaitait recréer l’animation nocturne d’une ville traditionnelle. Ce « paysage lumineux dynamique » devait évoluer en fonction de l’heure, de la saison et de la fréquentation du lieu. Le projet « d’art sonore urbain », conçu avec la participation des habitants, prolongeait cette idée d’une animation urbaine reconstituée.
L’EPA Marne imposant un « schéma directeur de coloration » à l’ensemble du quartier du Mont-d’Est, les façades devaient accueillir des éléments en béton bleu. Teinter le béton dans la masse ou appliquer de la peinture se révéla infructueux, mais les traces de ces essais restent visibles sur certaines colonnes.
À l’image de son immeuble Walden 7 (1970-1975) situé dans la province de Barcelone, Ricardo Bofill souhaitait créer un lien avec l’espace public en implantant des commerces au rez-de-chaussée du bâtiment. Les studios existants autour de la place centrale et des rues intérieures du Palacio étaient prévus pour accueillir artistes et artisans, à la manière des passages couverts parisiens. Cette recherche sur la grande échelle? et l’intégration de l’espace public dans des « mégastructures » initiée à Walden 7, suscita son invitation en France par Paul Chemetov, au nom de l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture, pour participer avec eux au concours de la Ville Nouvelle d’Évry en 1971.
L’héritage de Bofill : réalité et fiction
En près d’une décennie, Ricardo Bofill construit dans trois villes nouvelles, avec Les Arcades du Lac à Saint-Quentin-en-Yvelines (1977-1980) et Les Colonnes de Saint-Christophe à Cergy-Pontoise (1981-1986). Il dirige la construction du quartier Antigone à Montpellier (1978-1989) et de la Place de Catalogne à Paris (1980-1985). Les villes associant leur image à Bofill bénéficient alors d’une formidable publicité. La production en série faisant partie intégrante de sa démarche de démocratisation de l’architecture, toutes ces réalisations réemploient le même répertoire de formes.
Depuis leur création, Les Espaces d’Abraxas inspirent les cinéastes. Ils servent de décor dans À mort l’arbitre de Jean-Pierre Mocky (1984), Brazil de Terry Gilliam (1985), Mais qui a tué Pamela Rose ? d’Éric Lartigau (2009), et Hunger Games : la révolte, partie 2 de Francis Lawrence (2015), pour ne citer qu’eux.
En 2017, la municipalité de Noisy-le-Grand lance la construction du quartier Maille-Horizon Nord, sur les terrains de l’ancienne ZAC du Clos des Aulnes restés vacants. Poursuivant le projet d’aménagement urbain qu’il proposait à l’EPA Marne dans les années quatre-vingt, Ricardo Bofill est invité à prolonger son œuvre en concevant les Jardins d’Abraxas, un ensemble ordonnancé de logements avec commerces et équipements en rez-de-chaussée.
Illustrations
Noisy-le-Grand, les espaces d’Abraxas
Crédits | Archives d’EPA Marne |
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Dimensions | 5184 × 3888 pixels |
Résolution | 20.2 Mpx |
Poids | 5.3 Mio |
Date | 5 avril 2022 |
Fichier | dsc00337.jpg |
Noisy-le-Grand, les espaces d’Abraxas
Crédits | Archives d’EPA Marne |
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Dimensions | 1600 × 1069 pixels |
Résolution | 1.7 Mpx |
Poids | 282.3 kio |
Date | 5 avril 2022 |
Fichier | espaces-abraxas-noisy-le-grand_24.jpg |
Noisy-le-Grand, les espaces d’Abraxas
Crédits | Archives d’EPA Marne |
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Dimensions | 800 × 422 pixels |
Résolution | 0.3 Mpx |
Poids | 100.2 kio |
Date | 14 avril 2022 |
Fichier | les_espaces_abraxas_marne_la_valle_paris_france_ricardo_bofill_taller_arquitectura_37.jpg |
Noisy-le-Grand, les espaces d’Abraxas
Crédits | Jean-Bernard Vialles, Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel - Département de la Seine-Saint-Denis, 2015 |
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Dimensions | 2300 × 1871 pixels |
Résolution | 4.3 Mpx |
Poids | 634.5 kio |
Date | 5 avril 2022 |
Fichier | ivr11_20159300057nuc4a_s.jpg |
Noisy-le-Grand, les espaces d’Abraxas
Crédits | Jean-Bernard Vialles, Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel - Département de la Seine-Saint-Denis, 2015 |
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Dimensions | 2300 × 1849 pixels |
Résolution | 4.3 Mpx |
Poids | 793.5 kio |
Date | 14 avril 2022 |
Fichier | ivr11_20159300064nuc4a_s.jpg |
Noisy-le-Grand, les espaces d’Abraxas
Crédits | Jean-Bernard Vialles, Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel - Département de la Seine-Saint-Denis, 2015 |
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Dimensions | 1725 × 2300 pixels |
Résolution | 4.0 Mpx |
Poids | 843.8 kio |
Date | 14 avril 2022 |
Fichier | ivr11_20159300059nuc4a_s.jpg |
Noisy-le-Grand, les espaces d’Abraxas
Crédits | Jean-Bernard Vialles, Région Ile-de-France - Inventaire général du patrimoine culturel - Département de la Seine-Saint-Denis, 2015 |
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Dimensions | 2300 × 1830 pixels |
Résolution | 4.2 Mpx |
Poids | 515.1 kio |
Date | 14 avril 2022 |
Fichier | ivr11_20159300061nuc4a_s.jpg |
Noisy-le-Grand, les espaces d’Abraxas
Crédits | Archives d’EPA Marne |
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Dimensions | 605 × 451 pixels |
Résolution | 0.3 Mpx |
Poids | 827.8 kio |
Date | 14 avril 2022 |
Fichier | vue_d_ensemble.png |