Evolution du terroir de Tremblay-en-France du Ve au XIIe siècle

2 décembre 2020 , par Cristina Gonçalves-Buissart

Programme collectif de recherche (PCR)

Tremblay-en-France est la commune de la Seine-Saint-Denis sur laquelle a été menée le plus grand nombre d’opérations archéologiques. Ce programme? collectif de recherche, sur trois ans -2020-2022-, ambitionne de collecter l’ensemble des données, de les homogénéiser, de reprendre ou réaliser les études nécessaires et de commencer une synthèse.
Les données sont en effet considérables mais elles n’ont jusqu’à présent fait l’objet que de rapports de diagnostics et de fouilles. Or, ces dernières années, le nombre de fouilles de sites ruraux du Premier Moyen Âge fouillés n’a cessé de croître mais ce développement n’a pas été suivi d’une croissance parallèle du nombre de publications. Il apparait donc nécessaire de rendre accessible ces découvertes de manière exhaustive, à l’échelle? du terroir, afin de pallier ce manque.

Contexte opérationnel

Les premières interventions sur le territoire de Tremblay-en-France sont donc celles de l’association Jeunesse préhistorique et géologique de France (J.P.G.F) qui a mené de nombreuses prospections pédestres et des sauvetages urgents à partir des années 1980. En 1991, le Département de la Seine-Saint-Denis décide de mener une ambiteuse politique archéologique, au service du territoire départemental et de ses habitants. Cette politique est rapidement mise en œuvre à Tremblay-en-France dès 1992 avec les premiers diagnostics et fouilles de sauvetage. La construction de la LGV et de son interconnexion, l’extension de la plateforme aéroportuaire dans les années 1990, les aménagements routiers des années 2000 (barreaux ouest et est, périphérique, route départementale…) et la création de la ZAC? sud Charles de Gaulle ont permis la multiplication des opérations d’archéologie, notamment sur de très grandes surfaces. Ces opérations ont été menées par différents opérateurs d’archéologie préventive? (L’AFAN - INRAP, le Département de la Seine-Saint-Denis, Archéodunum et Eveha). Le panel des interventions est donc large. A noter également, la mise en place d’une fouille programmée concernant l’origine et l’évolution de la ferme du Château (sous la direction d’Ivan Lafarge depuis septembre 2018).

Types d’intervention Nombre d’intervention
Surveillance de réseaux et de travaux de construction 9
Sauvetage urgent 16
Prospection 47
Évaluation 3
Sondage 4
Diagnostic d’archéologie préventive 40
Fouille d’archéologie préventive 20
Étude du bâti 4
Total 143

La commune de Tremblay couvre une superficie de 2244 ha dont environ 280 ha pour le Vieux Pays. L’ensemble des surfaces expertisées est de l’ordre de 200 ha dont environ 46 ha sur le Vieux Pays. Pour la période médiévale (VIe-XIIe siècles), on estime à environ 11 ha les surfaces traitées en fouilles. Seuls cinq diagnostics se sont avérés totalement stériles en structures et une dizaine d’interventions n’ont pas livré de vestiges du Premier Moyen Âge ; ces opérations sont importantes à considérer car même si elles ne livrent pas de vestiges cela ne signifie pas pour autant une absence d’occupation.

Localisation des opérations archéologiques menées à Tremblay

Les enjeux de la connaissance

Les difficultés opérationnelles

L’opportunité d’accéder au sous-sol des villages actuels sur des surfaces autres que marginales n’est pas sans poser de problème car il faut, à la fois, que les terrains soient conservés et qu’ils entrent dans le cadre d’un aménagement. Le problème rencontré à Tremblay-en-France, comme sur l’ensemble de la Seine-Saint-Denis, est la taille des fenêtres d’observation souvent inférieure à 10 000 m2. Néanmoins la multiplicité de ces emprises permet d’esquisser une synthèse bein que l’image de ces sites reste incomplète tant au niveau spatial que chronologique. Par ailleurs, les conditions d’intervention en contexte préventif tendent à une réduction des délais, à une mécanisation plus systématique de la fouille et à une diminution des études spécifiques. Or la fouille en milieu villageois est indispensable pour faire évoluer les problématiques concernant le village.

La plus-value de Tremblay-en-France

Tremblay-en-France est riche en opérations archéologiques, en données dans un contexte villageois particulier avec des aménagements qui ont, pendant longtemps, épargné le patrimoine archéologique. Cette commune a l’avantage de cumuler des observations sur de très petites surfaces et également sur de grandes emprises, ce qui permet de comparer les méthodologies mises en oeuvre et les résultats obtenus. Par ailleurs, les archéologues n’ont cessé d’avoir un regard vigilant sur tous les travaux entrepris dans le Vieux Pays et ses abords, ce qui a permis de constituer une banque de données très importante. Ainsi, Tremblay-en-France a révélé des occupations stables qui débutent dès le début du Premier Moyen Âge, voire dès la fin de l’Antiquité tardive, et qui perdurent des siècles avec des abandons pouvant datés du XVIe siècle. Les recherches menées font considérablement progresser la problématique de la formation des villages, comme en témoignent les communications lors du colloque “l’archéologie au village” (21, 22 et 23 septembre 2017 à Perpignan) et de la table ronde sur “l’archéologie du village en Ile-de-France” (17-18 janvier 2019 à Nanterre). D’autre part, des opérations de grande envergure, dans la vallée du Sausset, devraient dans les années à venir permettre d’étoffer les données et nourrir de nouvelles réflexions.
Il apparaît donc que tous les sites sont très bien documentés et analysés, mais si l’on envisageait aujourd’hui une publication monographique, il y aurait des hypothèques non levées et des carences notamment en approches spatiales et globales. Le PCR pourrait tenter de pallier ces manques.

Les problématiques

Les opérations révèlent des sites riches en structures mais livrent peu de mobilier, alors que les vestiges ont été fouillés dans leur intégralité et autant que possible, la fouille fine a été privilégiée. Les rapports sont exhaustifs dans la description des structures et dans l’étude des différents mobiliers? ; il s’avère néanmoins que l’interprétation des structures a été confrontée au manque de conclusions d’études spécialisées, notoirement insuffisantes, généralement faute de moyens initiaux. Les études céramologiques n’ont pas permis d’établir de chronologie fine des sites ni d’identifier clairement le statut social des populations. Outre les problèmes d’attribution chronologique, ce constat reflète surtout le manque de spécialistes formés notamment pour la céramique? du Premier Moyen Âge. Par ailleurs, les études sur le petit mobilier, les scories et les matériaux de construction n’éclairent pas davantage ces questions. Sans remettre en cause la nécessité et la pertinence de ces études, il convient de s’interroger sur les modalités de leur exploitation d’autant qu’une spécialisation accrue, bien que légitime, rend parfois les résultats inutilisables par les responsables d’opération par manque de connaissances ou du recul nécessaire.

Un autre point, qui n’est pas sans poser problème, concerne la typologie? des structures. Malgré une analyse fine, il est souvent impossible de caractériser précisément certains vestiges, aucune grille de lecture n’étant réellement définie ; a contrario bien sûr, une grille d’analyse définie présente le risque de pré-interprétation. Les rapports rendent notamment compte d’un nombre important de “fosses” dont on ne peut rien tirer. La catégorie des trous de poteau, en l’absence de calage ou négatif poteau, pose également question. En fonction des sites ou des responsables d’opération, certains creusements sont considérés comme des fosses ou des trous de poteau. Les sites ruraux du Premier Moyen Âge foisonnent de ces structures peu caractérisables et donc inexpoitables malgré la définition de certains critères morphologiques et de méthodologies de travail. L’absence de mobilier dans ces structures complique leur exploitation. Il est d’ailleurs notable de constater à Tremblay-en-France la relative absence de bâtiments sur poteaux. S’agit-il d’un problème d’interprétation des vestiges, d’un état d’arasement des sites, d’une localisation extérieure aux emprises fouillées ou d’une tradition constructive particulière ? La première hypothèse semble à exclure étant donné le profil des différents responsables d’opération et des archéologues ayant participé aux fouilles. De même pour la seconde hypothèse, les sites tremblaysiens ne sont pas plus arasés que les autres. Si les bâtiments sont situés hors emprises des fouilles, se pose alors la question des surfaces décapées. On peut également s’interroger sur le statut réel du terroir de Tremblay... La plupart des sites révélant une exploitation agricole des lieux, la dimension agraire doit être réévaluée.

Pour la commune de Tremblay-en-France, on observe, au regard des différentes opérations réalisées sur le village, de longues périodes d’occupation avec des phases de transition importantes pour la compréhension de la formation du village. Ces phases concernent la transition Bas Empire - période mérovingienne ainsi que la transition de la période carolingienne - début du Moyen Âge. Mais, afin de mieux cerner ces phénomènes, des comparaisons sont indispensables. Bien que l’archéologie préventive fournisse une grande partie des données nouvelles, les informations restent peu hiérarchisées et surtout dispersées. Il apparaît parfois difficile d’établir les comparaisons nécessaires et de tenter d’énoncer des problématiques. On peut d’ailleurs déplorer l’absence d’un inventaire, d’après les données archéologiques, des établissements ruraux du Premier Moyen Âge en Île-de-France dont le nombre est pourtant considérable.

La question du village au Moyen Âge constitue un pôle d’intérêt majeur qui est surtout perçu à travers les opérations d’archéologie préventive. La question des établissements ruraux reste malgré tout problématique, les habitats ruraux ne faisant pas l’objet de fouilles programmées en Île-de-France, il est aujourd’hui difficile de vérifier certaines hypothèses et de tenter d’appliquer de nouvelles méthodologies autrement que dans l’urgence des fouilles préventives.

La notion de territoire est aujourd’hui au cœur de la question du peuplement au Premier Moyen Âge mais les contraintes de l’aménagement, dans le cadre des opérations d’archéologie préventive, n’autorisent guère une vision plus large que les parcelles fouillées faute d’échanges des données entre les différents opérateurs, en l’absence de rapports de fouille ou de temps d’exploitation des données et de recherche.

A Tremblay-en-France, le fait d’une intervention quasiment exclusive sur des petites surfaces, à des moments différents, selon une méthodologie et des techniques propres à chaque responsable d’opération, avec des parcelles qui ne se jouxtent pas, augmente les problèmes de raccordement des plans et d’interprétation des sites et de leur éventuelle contemporanéité. Ce handicap est néanmoins atténué par la stabilité des équipes du service archéologique du Département de la Seine-Saint-Denis intervenues à Tremblay-en-France. Depuis 2013, l’intervention est plus morcelée en terme d’opérateurs, ce qui peut s’en ressentir au niveau interprétatif ; pour autant, la multiplication des regards est une source d’enrichissement.

Pour sortir de l’échelle? du site, une reprise de l’ensemble des données de toutes les opérations archéologiques de Tremblay-en-France s’avère nécessaire afin de confronter les différentes conclusions et mieux cerner l’évolution du terroir. Ce travail doit prendre en compte les différentes phases d’occupation identifiées et s’interroger sur leur longévité au regard des situations politiques, religieuses et économiques à l’échelle locale. Le cas de Tremblay-en-France est à repenser dans cette perspective d’autant que sur cette commune cohabitent des sites avec un héritage antique et des créations nouvelles à la période mérovingienne. Il conviendrait de mettre en avant la diversité des formes de l’habitat et du paysage avec une attention particulière portée au parcellaire et au réseau viaire.

Les axes de recherche

Ce PCR est envisagé sur une période de trois ans, avec une année probatoire en 2019 qui a défini précisément les attendus, les études à mettre en oeuvre, les implications des différents collaborateurs et un planning des travaux. Il vise notamment cinq axes de recherche :
 le re-questionnement des structures en se réinterrogeant sur les interprétations et les typologies ;
 la chronologie des structures et des sites ;
 la chronologie et la typologie des mobiliers ;
 l’organisation des espaces et leur inscription territoriale ;
 actualisation et homogénéisation de la documentation.

Les collaborations

Ce PCR s’appuie sur un groupement de chercheurs travaillant sur les habitats ruraux du Premier Moyen Âge en Île-de-France et sur les spécialistes des mobiliers.

Coordination
Cristina GONÇALVES-BUISSART (Département de la Seine-Saint-Denis)

Etude des structures, des sites
Gaëlle BRULEY-CHABOT (INRAP)
Jean-Pierre DE REGIBUS (J.P.G.F.)
Marie DESCHAMP (EVEHA)
Jean-Yves DUFOUR (INRAP)
Bruno FOUCRAY (CNRS)
François GENTILI (INRAP)
Ivan LAFARGE (Département de la Seine-Saint-Denis)
Geoffrey LEBLE (Archeodunum)
Aurélie MAYER (EVEHA)
Fabien NORMAND (Département de la Seine-Saint-Denis)
Agata POIROT (Archeodunum)

Etude des mobiliers
Dorothée CHAOUI-DERIEUX (SRAIF)
Stéphane FRÈRE (INRAP/CRAVO)
Jean-François GORET (DHAAP)
Gaëtan JOUANIN (CRAVO)
Anicet KONOPKA (SAI 78-92)
Ivan LAFARGE (Département de la Seine-Saint-Denis)
Annie LEFÈVRE (INRAP)
Pascal METROT (Département de la Seine-Saint-Denis)
Agata POIROT (Archeodunum)

Etude archéo-anthropologique
Micheline KÉRIEN (Bénévole)
Cyrille LE FORESTIER (INRAP)
Aurélie MAYER (EVEHA)

Etude archéogéographique
Alain BARRIERE (Bénévole)
Emilie CAVANNA (DHAAP)

Etude ethnographique, histoire agricole
Jean-Yves DUFOUR (INRAP)
Ivan LAFARGE (Département de la Seine-Saint-Denis)

Photographe
Emmanuelle JACQUOT (Département de la Seine-Saint-Denis)

Dessinateur
Nicolas LATSANOPOULOS (Département de la Seine-Saint-Denis)

Organismes de rattachement concernés
 Archeodunum
 CNRS
 CRAVO
 Département de la Seine-Saint-Denis, bureau du patrimoine archéologique
 Département Histoire de l’Architecture et Archéologie de Paris, Pôle archéologique
 DRAC Ile-de-France, Service régional de l’archéologie
 EVEHA
 INRAP
 J.P.G.F.
 Service Archéologique Interdépartemental 78-92

Les travaux déjà entrepris

Depuis juin 2019, nous avons :
 identifié les travaux à mener en les priorisant,
 réalisé une bibliographie critique,
 mené un récolement des collections, notamment celles de la J.P.G.F.,
 réalisé trois études archéozoologiques ,
 entamé la reprise de l’iconographie - les plans de site ont été homogénéisés, les photos de mobilier métallique restauré des collections du département sont achevées et les dessins en cours,
 entrepris la création d’un SIG qui intègre tous les sites ; des tables attributaires normalisées pour les requêtes sont en cours,
 réalisé la reprise des études céramologiques de deux sites de la J.P.G.F.
 réalisé une première synthèse des données sur les structures de combustion ainsi qu’un inventaire des sépultures,
 amorcé l’étude de certaines structures.

  • Exemple d'export du SIG en cours, élaboré par Alain Barrière
    Exemple d’export du SIG en cours, élaboré par Alain Barrière
  • Exemple d'export du SIG en cours, élaboré par Alain Barrière
    Exemple d’export du SIG en cours, élaboré par Alain Barrière
  • Exemples de reprise de l'iconographie pour le catalogue du mobilier métallique, la boucle de ceinture GUE1190/10
    Exemples de reprise de l’iconographie pour le catalogue du mobilier métallique, la boucle de ceinture GUE1190/10
    Photo © Emmanuelle Jacquot / BPA / Conseil départemental de Seine-Saint-Denis
  • Exemple de reprise de l'iconographie pour le catalogue du mobilier métallique, la boucle de ceinture VDS1760-2
    Exemple de reprise de l’iconographie pour le catalogue du mobilier métallique, la boucle de ceinture VDS1760-2
    Dessin © Nicolas Latsanopoulos / BPA / Conseil départemental de Seine-Saint-Denis

Perspectives

L’objectif premier du PCR est le récolement des données et leur actualisation, avec un traitement homogène. Il n’est donc pas envisagé de publier rapidement. En fonction de l’avancée des travaux, il peut être envisageable de publier des articles de bilan ou de synthèse sur des points particuliers ; cela semble possible notamment pour les études de mobiliers.

A l’issue des trois ans, nous souhaitons pouvoir rédiger un article méthodologique à destination des futurs responsables d’opérations devant intervenir à Tremblay, mais qui puisse servir également aux chercheurs travaillant sur les habitats ruraux du Premier Moyen Âge. Cet article devrait fournir les données minimales sur Tremblay : le contexte archéologique, les données hydrologiques et géomorphologiques, mais surtout les grandes caractéristiques de l’occupation humaine de ce terroir et le bilan des résultats de nos recherches. L’idée est de pouvoir identifier les études et analyses à mener impérativement et selon quels critères, quelles sont les structures sur lesquelles porter l’attention, comment poursuivre l’analyse spatiale, continuer à alimenter le SIG... Cette synthèse devra mettre en avant les acquis, les pistes de travail à poursuivre, les éventuelles lacunes...

A l’échéance du PCR et du rendu des rapports des deux grandes fouilles du rû du Sausset, il pourra être pertinent de travailler sur une monographie complète du village de Tremblay au Premier Moyen Âge mais cela dans le cadre d’un nouveau PCR ou d’une autre forme de travail collectif.

Bibliographie

Gonçalves-Buissart C. dir. 2019 – Projet Collectif de Recherche, Evolution du terroir de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) du Ve au XIIe siècle, Rapport de demande de PCR 2019, 140 p.
Gonçalves-Buissart C. dir. 2020 – Projet Collectif de Recherche, Evolution du terroir de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) du Ve au XIIe siècle, Rapport d’activités - année probatoire 2019, 320 p.