L'étude céramologique

L’étude céramologique

5 juin 2021 , par Andreiana ALIANO

On découvre sur un site archéologique de nombreux objets témoignant des activités quotidiennes des habitants. On les retrouve généralement brisés et endommagés par le passage du temps. Ces objets, les mobiliers? archéologiques, sont confectionnés à partir de matériaux variés - céramique?, métal, verre, bois, os, cuir, textile etc. Certains matériaux ne résistent pas au passage du temps, sauf s’ils sont dans des conditions particulières : par exemple, le bois se conserve bien en milieu humide, sans lumière ni air. D’autres se conservent très bien au fil des siècles, notamment les matériaux inorganiques, c’est-à-dire ne contenant pas de carbone dans leur composition chimique, dont l’origine n’est ni animale ni végétale. C’est le cas des objets en céramique.

La céramique? mise au jour lors d’une opération archéologique est importante et souvent indispensable pour obtenir des informations sur l’histoire d’un site et de ses habitants, que nous n’aurions pas autrement : datation, statut social, pratiques quotidiennes... C’est pourquoi elle est soumise à une étude très attentive et minutieuse, effectuée par des spécialistes appelés céramologues. Ils tirent différents types de données essentielles pour l’interprétation du contexte de découverte.

Trois vases gallo-romains - Gournay-sur-Marne
Ces trois pièces sont héritières des formes céramiques gauloises de la fin de l’Âge du fer. Elles ont été découvertes ensemble, cassées, en place dans une même fosse, sur le site antique de la rue Paul Doumer à Gournay-sur-Marne. Ils datent du tout début de notre ère.
Vase noir à pâte rougeâtre fine, réf. DOU334/9 (à gauche) ; vase en commune fine sombre décoré de larges bandes lissées, réf. DOU334/10 (au centre) ; vase en commune fine sombre à décor "millefeuilles" de fines lignes lissées, réf. DOU334/11 (à droite).
Photo Emmanuelle Jacquot © Département de la Seine-Saint-Denis

Quelles sont les informations obtenues à partir de la céramique ?

La céramique apporte aux archéologues beaucoup de données historiques :
 il est possible de savoir, pour les types de céramiques les plus connus, la période de production d’un objet. Cette fonction de datation - on parle de mobilier datant - confère à la céramique un rôle principal dans l’établissement de la chronologie d’un site.
 elle fournit aussi des informations à caractère économique : le phénomène d’import - export existait dans le passé et était déjà très développé durant les périodes protohistoriques et historiques. Comment le savons-nous ? Grâce à la découverte de céramique produite dans d’autres régions du monde ! Nous pouvons ainsi déduire plusieurs informations sur les échanges commerciaux pratiqués à différentes périodes. La première ? les routes commerciales et les produits commercialisés. La seconde ? la "mode" de l’époque, que nous connaissons à travers le style décoratif ; en effet, les artisans céramistes réalisaient des décors particuliers, selon la période, et la région où ils travaillaient. Une autre donnée économique est le niveau de richesse des propriétaires : plus la céramique a une pâte fine, ouvragée, ornée... plus elle coûtait cher ! C’est l’histoire que nous raconte, par exemple, un petit tesson médiéval découvert à Tremblay-en-France.
 elle nous renseigne sur les pratiques culinaires : la manière de préparer les aliments (découverte de mortiers, de filtres, de faisselles...) ; les mets confectionnés (en analysant les résidus alimentaires déposés sur les parois des récipients) ; ou encore la consommation de produits particuliers, ainsi l’huile et de vin à la période antique. En effet, à cette époque, l’huile et le vin étaient importés de la région méditerranéenne, conditionnés dans des pots caractéristiques : les amphores. Leur consommation dans le centre et le nord de la France est ainsi révélée par la présence d’amphores sur des sites gaulois !
 enfin, grâce à l’étude de certaines formes céramiques, il est possible de connaître quelles étaient les pratiques de beauté développées au fil du temps parmi les classes les plus riches. L’unguentarium, par exemple, ne manquait jamais sur la dressing table d’une femme ou d’un homme parce qu’il servait à contenir des huiles parfumées !

Amphorette funéraire - Bobigny
Cette moitié supérieure de petite amphore recouvrait les restes d’un nouveau-né ou d’un foetus, déposé dans un fossé. L’ensevelissement date des années 50-100 de notre ère.
Amphorette de type Taverny groupe 2A, céramique? ? commune claire
Découverte à Bobigny, fouille de l’hôpital Avicenne
Coll. Bureau du patrimoine de la Seine-Saint-Denis
Réf. AVI188/1
Photo Emmanuelle Jacquot © Département de la Seine-Saint-Denis

Le traitement post-fouille de la céramique

Entre l’étude de la céramique et sa découverte sur le terrain, il y a un long processus constitué de plusieurs phases.

Prélèvement de la céramique sur site
Lorsque des pots ou des tessons de céramique sont découverts, ils sont extraits de la couche archéologique où il se trouvent, puis placés dans des sachets en plastique identifiés par une étiquette avec toutes les informations nécessaires à leur contextualisation. Les sachets sont regroupés dans des caisses puis transportés au centre archéologique : là, au cours de la "phase de post-fouille" (qui succède à la "phase de terrain") que la céramique est soumise à plusieurs traitements.

Lavage et séchage
Avec le lavage commence le processus qui a comme but final la conservation du mobilier (c’est-à-dire l’ensemble des vestiges archéologiques). La céramique est lavée à l’eau, en utilisant doucement une brosse à dents qui aide à enlever la terre encore présente dessus ; puis les tessons sont laissés à sécher.
C’est une étape très importante car elle permet d’observer chaque tesson, parfois de déterminer le type et la forme de l’objet auquel il appartient, et d’en tirer des informations d’usage, de datation, de style etc.

Conditionnement
Une fois la céramique séchée, il est nécessaire de la placer dans des sachets en plastique propres, toujours accompagnée de l’étiquette avec les informations de contexte, en précisant le nombre de restes (c’est-à-dire le nombre de tessons) et leur poids à des fins statistiques. Ils sont rangés de manière organisée dans des caisses entreposées dans les réserves.

Intégration dans la base des données
Désormais, le matériel a été conditionné : il est maintenant nécessaire et obligatoire d’intégrer ces informations dans la base de données, une archive numérique qui permet de retrouver toutes les données brutes issues du terrain (données stratigraphiques, mobilier?, etc.) De cette façon tout le matériel est référencé à l’intérieur d’un grand dossier informatique, de manière logique et raisonnée, afin de pouvoir retrouver le moindre sac de tessons parmi les très nombreuses opérations effectuées par le service départemental.

Peut-on dater tous les tessons et types de céramiques ?

Non ! Tous les tessons ne donnent pas cette possibilité.
Les fragments des bords et les fonds d’un pot ou d’un plat sont les plus susceptibles de fournir une information chronologique, parce qu’ils ont une forme particulière. Certaines productions de céramique se rattachent aussi à une période de production bien précise, déterminée grâce aux études typologiques et stylistiques effectuées depuis plusieurs années par des spécialistes.
Un exemple de céramique précisément datante est la céramique sigillée?, que l’on trouve en abondance sur le site des stades de la Motte. Cette céramique se retrouve dans différentes parties du monde romain : Italie, France, Espagne, Afrique du Nord, etc. Elle se caractérise par la présence d’un engobe (un enduit coloré) rouge-orange très brillant et lisse?, appliqué sur une pâte généralement rougeâtre, qui varient en fonction de l’aire de production. Il y existe deux lieux célèbres en France pour la production de ce type de poteries : Lezoux et la Graufesanque. Elle se caractérise généralement par une décoration à caractère végétal ou floral et par une représentation d’animaux sur des plats, des bols, des tasses, etc. Elle était très à la mode dans tout l’Empire romain au IIe siècle de notre ère.

La céramique est un patrimoine culturel qui doit être préservé, conservé et étudié de la meilleure façon, car elle est primordiale dans les études archéologiques. Elle fournit autant des données chronologiques, que sur les modes de vie et les savoir-faire artisanaux : elle est porteuse d’informations qui autrement serait perdues et laisseraient incomplète la reconstruction interprétative. Il est en effet plus difficile de caractériser un site sans céramique, qu’un site sans bijou !

Tesson de sigillée? découvert à Bobigny
Céramique? ? sigillée? ? portant la signature du potier.
Antiquité, 2e-3e siècles
Découverte à Bobigny, stade départemental de La Motte
Coll. Bureau du patrimoine archéologique de la Seine-Saint-Denis
Photo © Andreina Aliano / Département de la Seine-Saint-Denis, 2021

Pour en apprendre davantage

 Un exemple pour mieux comprendre comment les archéologues reconstituent la vie quotidienne à partir des tessons ? Celui de la vaisselle des Clarisses de Montbrison aux 17e-18e siècles, sur le site internet de l’Inrap.

 Des amphores ? au musée Amphoralis, bien sûr !

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 Suivez Marcus au musée de la céramique? de Lezoux

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Andreina ALIANO, stagiaire au Bureau du patrimoine archéologique de la Seine-Saint-Denis de mars à mai 2021, est étudiant en master d’ingénierie de l’archéologie à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a préparé cet article avec l’aide d’Adonis et la contribution d’Emmanuelle (photographies) et Caroline (mise en ligne).