La médiathèque archéo #1 - Homo domesticus
14 mai 2020 , par
Essai scientifique / Adultes
Alexandre Michel, archéologue protohistorien, responsable des fouilles de La Motte à Bobigny, a choisi de partager sa lecture d’Homo domesticus, un essai paru en 2019, dans lequel l’auteur réinterprète notre vision habituelle de la naissance des premiers États.
« Pourquoi ce livre ? Parce qu’il dresse des constats objectifs et propose une critique éclairante sur notre société. Il n’est pas "trop scientifique" : au contraire, il est accessible à toutes et tous. Et parce qu’il aborde clairement la question de l’origine des épidémies, et donne ainsi des clefs de compréhension sur la situation actuelle.
C’est une amie qui m’a conseillé de lire Homo domesticus, au cours d’une discussion sur la domestication du loup.
J’ai beaucoup apprécié ce livre. En tant qu’archéologue, il est nécessaire de savoir remettre en question nos préjugés et les raccourcis historiques sur les populations anciennes, dont les questionnements et les principes d’organisation pouvaient être très éloignés des nôtres. En effet, cet ouvrage bouleverse les récits habituels - que nous avons tous plus ou moins intégrés - sur l’évolution des populations humaines depuis la maîtrise du feu, la domestication du vivant, la création des premières sociétés, des premières villes, des premiers États. Si, pour un homme ou une femme d’aujourd’hui, vivre en sédentaire au sein d’un État apparaît comme une forme normale d’existence, il s’agit pourtant d’un phénomène très récent à l’échelle? de l’histoire de l’humanité. L’auteur, à l’érudition impressionnante, propose d’en retracer l’invention du point de vue de l’anthropologie et de la philosophie politique. Nos modèles interprétatifs sont également repris par James C. Scott. Il invite par exemple à réexaminer les notions d’effondrement ou d’anthropocène, très prisés des chercheurs en sciences humaines depuis 30 ans.
Deux passages me semblent représentatifs de la force de ce livre. L’auteur y pose des questions fondamentales et y répond avec des exemples simples, incisifs et faciles à mémoriser.
Mais le fait peut-être le plus troublant, c’est que l’activité qui est au centre de ce récit, la domestication, s’avère passablement insaisissable. […] Quelle est donc la notion décisive, le Rubicon de la domestication ? Jardiner les plantes sauvages, les débarrasser des mauvaises herbes, les déplacer sur un autre terrain, verser une poignée de grains sur un limon? fertile, déposer une ou deux semences dans un trou ou un sillon creusés avec un bâton fouisseur, ou bien commencer à labourer ? Selon toute vraisemblance, en matière de domestication, il n’y a pas eu d’Eureka ! Aujourd’hui encore, en Anatolie, on trouve des vastes étendues de blé sauvages et, comme l’a démontré Jack Harlan, avec une simple faucille de silex, on peut récolter en trois semaines suffisamment de grain pour nourrir une famille pendant un an. (p. 27)
Est-ce nous qui avons domestiqué le chien ou est-ce le chien qui nous a domestiqués ? Ce n’est pas si clair. Et qu’en est-il des "commensaux" - tels que les moineaux, les souris, les charançons, les tiques ou les punaises – qui n’étaient pas invités dans nos camps de regroupements, mais s’y sont installés sans notre permission, attirés par la compagnie et la nourriture. (p. 35)
Cet ouvrage permet de mieux comprendre les choix évolutifs qu’a fait l’humanité, et ceux qu’elle n’a pas fait, et de mieux en cerner les conséquences. Comprendre la véritable origine de l’État, tel qu’on le connaît aujourd’hui, c’est découvrir qu’une toute autre voie était possible et l’est sans doute encore aujourd’hui. »
Pour compléter cette lecture
- un entretien avec l’auteur, James C. Scott, sur le site de France Culture "Une histoire profonde de l’anthropocène", dans l’émission La Suite dans les idées présentée par Sylvain Bourmeau le 19 décembre 2019 (30 min)
- un autre essai traitant de l’effondrement des sociétés : Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, Paris, 2006 (parution en 2005 aux États-Unis) - Site de l’éditeur
Références de l’ouvrage
James C. Scott, Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers Etats, traduit de l’anglais américain par Marc Saint-Upéry, préface de Jean-Paul Demoule, éditions La Découverte, Paris, 2019
Site de l’éditeur