Les meules gauloises de Bobigny [en cours]

13 avril 2021 , par Caroline Hoerni

Meta et catillus : trois des éléments de moulins gaulois

Meta et catillus : les meules gauloises de Bobigny

Ces trois meules, façonnées dans de la pierre calcaire du bassin parisien (calcaire de Brie), sont des éléments de moulins rotatifs manuels : deux meules tournantes, dites catillus, et une meule dormante, dite meta. Ce que l’on nomme "moulin" est en fait l’ensemble du dispositif constitué d’un catillus posé sur une meta : une meule tournante, mobile et actionnée manuellement, est posée à plat sur une meule dormante, fixe, qui est placée au sol ou sur un meuble. Un axe central perce de part en part les deux meules : il constitue l’axe de rotation et maintient les deux parties ensemble. Un manche, ou un anneau, fixé sur le catillus, permet de mettre la meule en mouvement. Le système est simple : les plantes à moudre - voire les minéraux à broyer - sont introduites par un cône ménagé au sommet du catillus et tombent entre les deux meules. Actionné à la force du bras, le catillus tourne sur la meta, autour de l’axe central. En tournant ainsi sur la meule fixe, la meule supérieure écrase les produits, tandis que le mouvement de rotation dynamique fait sortir la farine sur les côtés du moulin.
Les surfaces de contact des meules inférieure et supérieure sont dites "surfaces actives" : c’est là que s’effectue l’écrasement des produits. Des stries, taillées sur la surface active des meules, facilitent la mouture en rendant la pierre plus abrasive : c’est ce que l’on nomme "l’habillage" de la surface. Il peut consister en un rayonnage (traçage de stries), ou en un piquetage (des petits trous), ou les deux. Sur les surfaces actives, les archéologues vont recueillir des informations sur les aliments moulus, par l’analyse physico-chimique des résidus trouvés dans les anfractuosités, ou par l’observation des traces d’usure de ces surfaces.

Contexte de découverte

Ces objets sont issus d’un comblement de fossé de la seconde phase d’occupation du site (Tène C, 1er quart IIe s. av. J.-C.).
Compléter avec une présentation rapide du site comme pour le pion
Le développement d’outils en fer à la Protohistoire permet aux artisans gaulois, grâce à de nouvelles techniques de taille de la pierre, de concevoir ce nouveau type de meule : des meules circulaires à bras comme celles retrouvées à Bobigny. Les plus anciennes meules rotatives connues à ce jour datent d’environ 500 ans avant notre ère, et ont été retrouvées dans la péninsule ibérique et en Angleterre. Il semble qu’elles soient utilisées en Gaule du nord à partir du début du IIe siècle.
A partir de cette époque, les moulins rotatifs sont fréquents dans les habitats gaulois. Ils font en effet partie de la panoplie des équipements de cuisine essentiels car ils permettent la mouture de petites quantités de farine, pour l’usage alimentaire domestique, au quotidien.
Ouverture sur l’interprétation du site de Bobigny. A faire après avoir pris plus de renseignements sur le site.

Moudre, une opération essentielle pour les sociétés humaines

La mouture des végétaux est, depuis la Préhistoire, une opération essentielle. Elle permet la transformation de produits naturels simples, bruts (grains de céréales, légumineuses séchées, fruits à coques...) en un produit secondaire, raffiné par l’action humaine, qui sera utilisé très facilement pour des préparations alimentaires complexes : la farine. On confectionne ainsi des galettes ou du pain, des bouillies, des gâteaux...
Cette préparation revêt même, dans certaines cultures, une importance symbolique centrale. Ainsi, le terme immolation - désignant aujourd’hui un sacrifice - vient du nom mola, la farine en latin. En effet, les produits offerts aux dieux étaient consacrés par le vin et la farine salée, la mola salsa, un mélange de blé grossièrement moulu et de sel, préparé spécialement par les vestales, prêtresses garantes de la pérennité de l’État romain et de la paix entre les dieux et les humains. L’immolatio désignait précisément le moment du rite qui consistait à saupoudrer la mola salsa sur les produits ou les animaux à sacrifier.

Différents systèmes de moulins

Les plus anciens systèmes de mouture par meule découverts datent du Néolithique. Les produits végétaux sont broyés sur une grande pierre plate ou légèrement concave (la meule dite dormante ou fixe) à l’aide d’une petite pierre tenue dans le creux des mains (la molette?, ou broyon), que l’on actionne d’avant en arrière : on appelle ces meules des "meules va-et-vient".

Système de meule dit "va-et-vient"
On actionne la molette? (ou broyon) d’avant en arrière.
DAO Guillaume Huitorel (d’après Natalia Alonso Martinez) © BPA / Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis

D’autres types de moulins ont plus tard été développés, notamment les moulins rotatifs, durant la Protohistoire. Les meules de Bobigny appartiennent au modèle de moulin rotatif le plus simple : le moulin manuel, actionné à la main. Cependant, depuis l’Antiquité, la nécessité d’augmenter les quantités de farine produites et la volonté d’économiser l’énergie humaine ont conduit à développer des modèles de moulins rotatifs plus performants. Ainsi, le moulin dit "à sang" est mis en mouvement par des animaux ou par des esclaves. Le type le plus célèbre en est certainement le moulin pompéien - dont de nombreux exemplaires ont été découverts dans les boulangeries de la cité italienne - largement utilisé en Gaule comme l’attestent les vestiges archéologiques et l’iconographie des mosaïques. L’Antiquité voit également apparaître les moulins hydrauliques, actionnés par la force de l’eau. Installés sur des cours d’eau ou sur des aqueducs, ils peuvent être isolés ou associés entre eux, formant ainsi de grande meuneries comme à Barbegal, dans les Alpilles. Plus tard apparaissent les moulins à vent, dont l’invention remonte au Moyen-Âge.

Le patrimoine meunier en Seine-Saint-Denis

Le patrimoine meunier de la Seine-Saint-Denis est riche et diversifié. Des meules domestiques du Néolithique trouvées à Saint-Denis aux Grands Moulins industriels de Pantin qui ont fonctionné jusqu’en 2003 et ont réhabilités en immeubles de bureau en 2009, l’histoire de la mouture se déroule sous toutes ses formes..
Outre les fouilles archéologiques et l’inventaire architectural, l’étude des documents historiques révèlent la présence de nombreux moulins à vent et à eau sur l’ensemble du territoire. Si la plupart ont disparu, ou ne sont connus que par des documents, tels des moulins à eaux à Neuilly-sur-Marne ou celui de l’Île Saint-Denis, certains sont encore debout, comme le moulin de Montfermeil.

Ressources en ligne

Avec la classe ou en famille

Pour les plus grands ou pour préparer les cours

  • "La Gaule est dans le pré", un document multimédia proposé par l’Inrap, mettant en avant les découvertes archéologiques qui, depuis les années 1970, permettent aux chercheurs de mieux connaître les campagnes gauloises
  • Pour en savoir plus sur l’agriculture et alimentation des Gaulois, découvrez un site exceptionnel, le village d’Acy-Romance dans les Ardennes
  • "Le quotidien au temps des Gaulois", une conférence passionnante de Mathieu Poux-, grand spécialiste des Gaulois, présentant les connaissances actuelles sur les Gaulois... et tordant le coup à de nombreuses idées reçues qui imprègnent encore nos manuels.

Bibliographie d’orientation

Pour découvrir les meules et la mouture

  • Un beau catalogue d’exposition édité par le Muséum d’histoire naturelle du Havre, sous la direction de Cyril Marcigny, Emmanuel Ghesquière et Jean Desloges, La Hache et la Meule. Les premiers paysans du Néolithique en Normandie (6000-2000 avant notre ère), éditions du Muséum du Havre, 2007
  • Le catalogue de l’exposition présentée au musée ARCHEA, Archéologie en Pays de France – Roissy Porte de France : Sous les meules le grain, nourrir la ville de l’Antiquité à nos jours, éditions Illustria, 2013

Une découverte de meule à Saint-Denis

  • Caroline Hamon, Anaïk Samzun, "Une fosse Villeneuve-Saint-Germain final à Saint Denis « Rue du Landy » : un dépôt de meule inédit en Ile-de-France", Internéo, 5, 2004, p. 17-28 (numéro en téléchargement sur le site de la Société préhistorique française)

Publications scientifiques

  • Olivier Buchsenschutz, Stéphanie Lepareux-Couturier, Gilles Fronteau (dir.), Les meules du Néolithique à l’époque médiévale : technique, culture, diffusion. Actes du 2ème colloque du Groupe Meule, Reims, du 15 au 17 mai 2014, Suppl. Revue Archéologique de l’Est, Dijon, 2017
  • Luc Jaccottey et alii, "Le passage des meules va-et-vient aux meules rotatives en France", Sophie Krausz et al. (dir), L’âge du fer en Europe - Mélanges offerts à Olivier Buchsenschutz, éditions Ausonius, Bordeaux, 2013, p. 405-419.
  • Samuel Longepierre, Meules, moulins et meulières en Gaule méridionale du IIe s.av. J.-C. au VIIe s. ap. J.-C., Monographies d’instrumentum 41, éditions Mergoil, 2012
  • Paul Picavet, "Mouture de subsistance, d’appoint, et artisanat alimentaire de rendement. Les meules gallo-romaines entre villes et campagnes dans le nord de la Gaule", Deru Xavier et González Villaescusa Ricardo (dir.), La consommation dans les campagnes de la Gaule romaine. Actes du colloque Ager X, 2012, hors-série Revue du Nord, Lille, 2014, p.51-65
Cartel
Parties supérieures de meules (catilli) et inférieure (meta)
Calcaire de Brie
diam. 27 à 33 cm
Deuxième âge du fer
VAC628/16 (gauche), VAC628/15 (catillus, droite) et VAC628/14 (meta, droite).
Bobigny, Vache à l’aise, année de fouille, n° opération
Rapport d’opération : Yves LE BECHENNEC et al., Bobigny, La Vache-à-l’Aise 93 07 008 (Seine-Saint-Denis). DFS de sauvetage (10/10/1995 - 30/09/1997) - Bobigny (Seine-Saint-Denis) - vol. 1 : texte, 1998