Les objets insolites #1 : une pipe moderne découverte à Gagny

15 juillet 2021 , par Pauline Susini-Collin

Il arrive lors de nos différents chantiers archéologiques de trouver des objets insolites, dont on pourrait penser qu’ils ne concernent pas l’archéologie au premier abord. Pourtant, tout objet peut nous livrer des informations sur ses origines, sur le terrain dans lequel il a été trouvé et au final, nous raconter son histoire. Tout intéresse les archéologues !

  •  Fourneau de la pipe BAU003/1, vue de profil
    Fourneau de la pipe BAU003/1, vue de profil
    Gagny
    Photo © Pauline Susini-Collin / Département de la Seine-Saint-Denis, 2021
  • Fourneau de la pipe BAU003/1, vue de face
    Fourneau de la pipe BAU003/1, vue de face
    Gagny
    Photo © Pauline Susini-Collin / Département de la Seine-Saint-Denis, 2021

L’objet dont il est question ici a été découvert à Gagny, dans des niveaux de remblais contemporains constitués de gravats de démolition, c’est-à-dire des briques, des parpaings, du plastique, des pots de peinture et autres ferrailles…. Un archéologue doit être vigilant à chaque instant lors d’un diagnostic, d’autant plus lorsqu’il s’agit du terrassement de la première tranchée puisqu’il ne sait pas à quoi va ressembler la stratigraphie du terrain qu’il doit étudier. C’est donc dans les premiers mètres de la tranchée une de ce diagnostic qu’un petit objet a attiré l’attention.
On découvre fréquemment des restes de pipes dans ce genre de niveaux modernes, mais il s’agit la plupart du temps de fragments de tuyaux en argile blanche, très simples. La découverte d’un fourneau entier et intact est plus rare, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un modèle représentant un visage.

  • La pipe BAU003/1, mise à jour lors du diagnostic
    La pipe BAU003/1, mise à jour lors du diagnostic
    Gagny
    Photo © Pauline Susini-Collin / Département de la Seine-Saint-Denis, 2021
  • Gagny, vue d'une tranchée de diagnostic
    Gagny, vue d’une tranchée de diagnostic
    Photo © Pauline Susini-Collin / Département de la Seine-Saint-Denis, 2021

Cet objet a été prélevé sur le terrain et conservé comme tout autre objet archéologique plus classique.
Une fois la phase de terrain terminée, on procède à la post-fouille, c’est-à-dire à la phase de traitement des données acquises sur le chantier et la tête de pipe a fait l’objet d’une documentation en tant qu’objet archéologique trouvé lors de cette opération. Dans un premier temps, elle a été enregistrée dans les collections du département sous le code BAU003/1 et décrite de la manière la plus précise possible : il s’agit d’un fourneau de pipe en terre cuite vernissée brune qui porte les traces d’un couvercle métallique en alliage à base de cuivre. Le fourneau est cylindrique, étroit et en hauteur, correspondant au type de pipe "hongroise". Le décor moulé représente une tête féminine. Elle porte une couronne ou un diadème à décor végétalisant. Ses cheveux sont libres et deux mèches tirées vers l’arrière encadrent son visage.
Malgré le fait que ce soit une pièce moulée et vernissée, les trait du visage sont relativement fins.

  • Fourneau de la pipe BAU003/1, étude en phase de post-fouille
    Fourneau de la pipe BAU003/1, étude en phase de post-fouille
    Gagny
    Photo © Pauline Susini-Collin / Département de la Seine-Saint-Denis, 2021

Dans le cas du mobilier des périodes les plus récentes, il existe peu d’études archéologiques, il faut donc se tourner vers des inventaires de musées, des catalogues de manufactures ou de collectionneurs, des catalogues de maisons de vente, etc.

En ce qui concerne les pipes, le Amsterdam Pipe Museum aux Pays-Bas, fondé en 1969 à partir d’une collection privée, dispose d’une base de données en ligne très complète puisque toute la collection a été numérisée (plus de 34500 objets référencés et illustrés). Ainsi, inventoriée sous le numéro APM 9.743, une occurrence très proche a été identifiée dans les collections d’Amsterdam, bien que le motif de la couronne soit légèrement différent, l’exemplaire de Gagny étant plus recourbé et les traits du visage plus détaillés que le modèle néerlandais.

Grâce aux données contenues dans cet inventaire, la provenance de notre pipe a été identifiée.
Il s’agit très probablement d’une pipe de production allemande issue de l’atelier Julius Wingender & Co établi à Höhr (Westerwald, Allemagne). D’après le catalogue de l’atelier, en page 16, il s’agit du modèle 28 B5, produit entre 1880 et 1930. Malheureusement le catalogue consulté ne donne pas de détails concernant l’identité du personnage féminin représenté. Selon l’inventaire de l’exemplaire du Amsterdam Pipe Museum, il s’agirait d’une tête d’indien. Cependant, cette interprétation ne nous convainc pas. En continuant les recherches, nous avons consulté le travail du Pipe-Club Le Perron de Lièges en Belgique (bulletin Le piperron de juin 2019, page 17). Selon ces passionnés d’histoire et de pipes, ce visage pourrait vraisemblablement être un portrait de la jeune reine Victoria d’Angleterre, cette dernière ayant fait l’objet d’un véritable culte à l’époque de son règne (1837-1901) et bien au delà.

  • Extrait du catalogue des pipes manufacturées Julius Wingender
    Extrait du catalogue des pipes manufacturées Julius Wingender
    En rouge, le modèle de notre pipe

Il faut savoir qu’au XIXe s. les personnalités historiques, artistiques ou politiques sont très fréquemment représentées sur les fourneaux de pipe tels que Marie-Antoinette, Napoléon, Rembrandt ou encore Robin des bois, cette tendance est à l’origine de l’expression "tête de pipe", inventée à cette époque.

Ressources

Nous remercions M. Van Parys pour avoir mis à notre disposition ses ressources.

En téléchargement

Le Piperron, numéro de juin 2019
Le modèle de notre pipe figure en page 17.
Le Pieperron est un bulletin mensuel consacré à l’histoire de la piperie, édité par M. Van Parys, président du Pipe-club de Liège. Tous les numéros sont disponibles en libre-accès.
Le catalogue des pipes en terre manufacturés, Julius Wingender
Le modèle de notre pipe figure en page 16.