Objet de collection #3 - fragment d’un bracelet en verre mis au jour à Bobigny

7 mai 2020 , par Alexandre Michel, Caroline Hoerni, Guillaume Huitorel

Bracelet de type “Haevernick 14" du IIe siècle avant notre ère

Depuis les années 1995, de nombreux bracelets en verre, en majorité fragmentaires, ont été découverts à Bobigny, sur des sites gaulois. En effet, les aristocrates gaulois.e.s aimaient à se parer de bijoux précieux, signes évidents de leur richesse. Dès le IIIè siècle avant notre ère, les verriers gaulois étaient passés maîtres dans la confection de bracelets raffinés ; néanmoins, ils ne savaient pas produire la matière première, le verre brut, qui était importé d’Egypte et d’Orient.

Fragment de bracelet HAE 14 découvert à Bobigny
Photo © Emmanuelle Jacquot / BPA / Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis

Le bracelet “Haevernick 14” à décor bourgeonnant

Ce fragment de bracelet en verre bleu, très irisé, mesure 4 cm environ de long. Le jonc est étroit - 6,5 mm d’épaisseur ; le décor, formé de petites boules en relief, est dit "bourgeonnant". La technique utilisée par l’artisan est celle du verre filé : une fois ramollie au feu, le verre est étirée et façonnée avec des outils métalliques.

Fragment de bracelet HAE 14 découvert à Bobigny
Fragment du bracelet AVI 471/1, de type HAE 14, vue de dessus.
Photo © Joëlle Rolland

Il s’agit d’un bracelet de type “Haevernick groupe 14” (HAE 14) daté du IIe siècle avant notre ère. L’appellation "Haevernick", utilisée par les archéologues pour identifier les bracelets en verre gaulois, correspond à la typologie? créée en 1960 par Thea Elisabeth Haevernick, une archéologue allemande. Pour établir cette classification, elle s’appuyait sur les formes des bracelets ; par la suite, d’autres chercheurs l’ont complétée par des critères d’ornementation, de couleurs et de proportions.
Conservé au bureau du patrimoine archéologique, cet objet porte le numéro d’inventaire AVI 471/1, en référence à l’emplacement où il a été trouvé : AVI désigne le chantier (ici, l’hôpital Avicenne), 471/1 correspond à la “couche” archéologique d’où il provient. En effet, ce petit fragment a été découvert sous l’actuel bâtiment de radiothérapie de l’Hôpital Avicenne, à Bobigny en 2002. Plus précisément, il a été mis au jour dans le remplissage d’une fosse profonde de 3 mètres au moins, dont la fonction originelle était peut-être liée au stockage. Ce remplissage correspond à une phase détritique du comblement - c’est-à-dire à un moment où la fosse a servi de dépotoir et a été comblée par le rejet d’ordures.

Le verre gaulois de Bobigny

Plusieurs bracelets de ce même type HAE 14, et d’autres types, intacts ou brisés, ainsi que des perles de verre, ont été trouvés sur les sites gaulois de Bobigny de la Vache à l’Aise, de l’Hôpital Avicenne et du stade départemental de la Motte. Les objets et les fragments - parfois très petits - sont soigneusement photographiés, mesurés et décrits, sous tous les angles. Le fragment présenté ici se trouve en bas à gauche sur la vignette.

  • Fragments de plusieurs bracelets HAE 14 découverts à Bobigny
    Fragments de plusieurs bracelets HAE 14 découverts à Bobigny
    Photo © Joëlle Rolland
  • Perles en verre découvertes à Bobigny
    Perles en verre découvertes à Bobigny
    Perles de verre provenant du site du stade départemental de La Motte
    Photo © Emmanuelle Jacquot / BPA / Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis

Bracelets en verre : un savoir-faire gaulois, un matériau venu de loin

Les artisans verriers gaulois, et plus tard gallo-romains, maîtrisent parfaitement les techniques de transformation du verre pour fabriquer des parures en verre : perles et bracelets. Le bracelet en verre, ils l’ont inventé au Ve siècle avant notre ère et sont les seuls à savoir le fabriquer ; la production de ce bijou s’intensifie aux IIIe et IIe siècles avant notre ère : à cette époque, les verriers gaulois fabriquent des bracelets au décor complexe, nécessitant un savoir-faire pointu, et majoritairement bleus - une couleur très prisée des Gaulois, obtenue par l’ajout de minerai de cobalt au mélange de sable, soude et calcaire qui constitue le verre, naturellement incolore ou verdâtre. C’est à cette période qu’est fabriqué notre bracelet.
Puis, au cours du IIe siècle, les bracelets en verre se démocratisent et deviennent un produit de grande consommation : la confection de ces bracelets se simplifie - moins de matière première, moins de temps passé pour produire chaque pièce, moins de temps passé pour formé des artisans... ces bijoux sont moins onéreux et disponibles en plus grande quantité.
Si les ateliers gaulois sont spécialisé dans la confection des perles et bracelets en verre, c’est en Orient et en Égypte, où se trouvent les sites de fabrication de la matière première, qu’ils s’approvisionnent en verre. Le verre brut traverse ainsi les territoires, franchit les mers, arrive en Gaule notamment par bateau : certaines épaves ont été retrouvés dans le sud de la France lors d’opérations sous-marines. Il faut attendre le Moyen-Âge pour que les artisans européens soient capables de fabriquer le verre même.
Si les archéologues sont aujourd’hui capables de dater très précisément ces bracelets, les frontières techniques entre les connaissances passées et celles d’aujourd’hui sont encore nombreuses : autrement dit, on sait identifier un objet, mais pas forcément le façonner selon les procédés originels. C’est pour cela que des archéologues tentent, par l’expérimentation et l’observation ethnographique, et avec l’aide de verriers professionnels, de retrouver les techniques des artisans gaulois. En observant les gestes, techniques et outils d’artisans indiens, népalais, ou nigérians - qui produisent encore aujourd’hui des bracelets en verre - ils peuvent actuellement reproduire la plupart des bracelets en verre gaulois... mais ils ne savent toujours pas façonner ce décor bourgeonnant très particulier. Le bracelet de Bobigny garde encore quelques secrets !

Ressources en ligne

Avec la classe ou en famille

  Découvrez le dossier de présentation de l’expositionBling-Bling, le verre gaulois s’affiche” qui s’est tenue au Muséoparc d’Alésia, d’avril à septembre 2019, où plusieurs pièces trouvées à Bobigny étaient présentées
  Rencontrez Joëlle Rolland, spécialiste du verre celtique et archéologue expérimentatrice invitée du 56kast (30 min) - cette présentation est également à lire ici
 Pour parler de la vie quotidienne ou réviser avec les plus jeunes, une série de coloriages à télécharger sur le site du MuséoParc d’Alésia.

Pour les plus grands ou pour préparer les cours

Bibliographie

Le catalogue de l’exposition présentée au MuséoParc Alésia du 6 avril au 22 septembre 2019

Joëlle ROLLAND (dir.), Bling-Bling. Le verre gaulois s’affiche ! , éditions Tautem, Mirebeau-sur-Bèze, 2019

Publications scientifiques

  Danièle FOY, “Technologie, géographie, économie : les ateliers de verriers primaires et secondaires en Occident. Esquisse d’une évolution de l’Antiquité au Moyen Âge”, La Route du verre. Ateliers primaires et secondaires du second millénaire av. J.-C. au Moyen Âge. Colloque organisé en 1989 par l’Association française pour l’Archéologie du Verre (AFAV), Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, Lyon, 2000, p. 147-170
  Souen Deva Fontaine et Danièle Foy, “L’épave Ouest-Embiez 1, Var : le commerce maritime du verre brut et manufacturé en Méditerranée occidentale dans l’Antiquité”, Revue archéologique de Narbonnaise, tome 40, 2007. p. 235-265

CARTEL

 
Fragment de bracelet Haevernick 14
Matière : verre
Forme : annulaire
Couleur : bleu outremer, irisé
Décor : décor plastique sur jonc étroit, dit "bourgeonnant"
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Mesures : ép. du jonc : 6,5 mm
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Chronologie : Âge du Fer
Périodisation : IIe siècle avant notre ère
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Contexte de découverte : remplissage médian d’une structure? excavée
Ce remplissage correspond à une phase détritique du comblement. Parmi divers mobiliers?, d’autres éléments de parure sont associés : deux fragments de bracelets en lignite? et un fragment de parure annulaire en fer. De grande dimension (146x225x46 cm), de forme indéterminée, à bords évasés et fond plat, cette structure est difficile à interpréter car située en limite d’emprise de la fouille.
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N° d’inventaire : AVI471/1
Conservation : Centre départemental d’archéologie de la Seine-Saint-Denis
Opération : fouilles du bâtiment de radiothérapie de l’Hôpital Avicenne, Bobigny, Seine-Saint-Denis - CD93-Inrap
Rapport d’opération : Stéphane MARION et al., Hôpital Avicenne, Bâtiment hospitalier, Bâtiment de radiothérapie, Rapport final d’opération de fouilles archéologiques - Bobigny (Seine-Saint-Denis) - vol. 1 : texte, vol. 2 : annexes, vol. 3 : liste du mobilier, Inrap CIF, 2005